Nous vivons dans un monde où l’accident n’est plus toléré, où la sécurité doit être assuré au maximum, où le principe de précaution doit l’emporter sur le reste. Tout ça parce que “la vie n’a pas de prix”. C’est vrai, elle n’a pas de prix, mais vouloir la protéger de n’importe quel risque est au-dessus de nos moyens, et c’est encore plus vrai quand ce risque n’est pas clairement prouvé.
Pour en finir avec le principe de précaution
Jean De Kervasdoué aimerait donc en “finir avec le principe de précaution” (sous-titre de son livre), qui prévaut en France, freinant ainsi l’utilisation des nouvelles technologies, ou décourageant la recherche dans certains secteurs.
Économiste de la santé et ingénieur agronome, il est bien placé pour tordre le coup à l’obscurantisme dans lequel est plongée la population, que l’État doit rassurer avec des actions contre-productives, dictées par des émotions et non plus par l’avis de la communauté scientifique ou les experts.
Suivons cet ancien directeur des hôpitaux dans des domaines qu’il semble bien maîtriser…
Aussi dangereux qu’une carotte
Sans dénigrer les précautions à prendre autour des OGM, l’auteur nous explique exactement ce qu’est un gène, et en quoi un organisme génétiquement modifié ne fait que poursuivre la logique des croisements que l’homme fait depuis la naissance de l’agriculture. “Les carottes, les vers à soie, tout comme certaines races de chien (…), sont tellement génétiquement modifiés qu’ils sont devenus incapables de survivre sans l’assistance de l’homme.” (p. 109)
Avec les OGM, on ne fait que forcer le destin des mutations : c’est un domaine d’avenir dans lequel la France aurait dû exceller, mais la crainte populaire l’a emporté sur l’avis scientifique, tuant dans l’œuf tout développement économique dans ce domaine.
Certes, on pourrait répondre à l’auteur que des études montrent que…, des statistiques indiquent que…
Le GIEC, l’autisme et l’eau de Javel
Mais il nous répond que toutes les études ne sont pas aussi scientifiques que l’on pourrait le croire, et que “la vérité en science ne s’établit jamais par consensus, surtout si ce consensus est établi par des scientifiques en partie nommés par des politiques” (p. 45) : à titre d’exemple, l’origine psychologique (et non biologique) de l’autisme fut longtemps défendue par des psychiatres de renom. L’histoire pourrait se répéter avec le GIEC…
Quant aux chiffres, il faut bien connaître leur contexte pour juger de leur ordre de grandeur. Un simple exemple : si le pourcentage de mortalité par cancer augmente… c’est parce que les autres causes de mortalité diminuent, tout simplement !
Enfin, une dangerosité dépend aussi de l’usage : l’eau de Javel est bien utile, et pourtant toxique à forte dose. Et malgré tous les accidents domestiques qu’il provoque, il n’est pas interdit !
Fermons cette parenthèse et poursuivons avec un cas d’école du principe de précaution…
Il suffit d’avoir peur
De Kervasdoué consacre un gros chapitre à l’affaire de la grippe H1N1, événement médiatisé que nous avons connu aussi en Belgique, en 2009. Rappelons-nous ces millions de vaccins achetés préventivement, en vue d’une pandémie qui n’est jamais venue. L’auteur démontre l’effet de panique et la suite de décisions incohérentes prises par les gouvernements, pour une grippe mal évaluée, bénéficiant de la peur de la grippe aviaire (1994).
“Cette application du principe de précaution montre qu’il n’est pas nécessaire de savoir pour agir, il suffit d’avoir peur.” (p. 160)
Ce principe de précaution a coûté 1 % de l’impôt sur le revenu de l’année (p. 156). En plus, cette affaire a apporté de l’eau au moulin des détracteurs de la vaccination.
Tous chimique
“Un produit chimique est un produit naturel ou synthétique qui peut interagir avec un système biologique” (p. 36) : voilà une entrée en matière pour nous expliquer que nous sommes aussi chimique que le sulfate de cuivre, et qu’il est infondé de faire un lien entre produit chimique et santé.
L’auteur prend surtout le cas des produits qualifiés injustement de “cancérigènes”, s’interrogeant sur la “pertinence d’une extrapolation des effets observés chez les animaux soumis à de fortes doses pour estimer les effets des faibles doses sur les hommes” (p. 81) – pensez à l’eau de Javel…
Il prend comme exemple le Bisphénol A (rappelez-vous, l’affaire des biberons), maintenant interdit en France, mais pas aux États-Unis : encore une peur qui nous fait régresser car “il existe rarement de parfaits substituts à quoique ce soit. Un produit qui se vend est par essence un produit auquel quelqu’un trouve une certaine utilité.”
Bon, j’avoue qu’avec cette dernière phrase j’ai du mal à garder ma neutralité, mais… attendons la fin.
Nous vivons plus longtemps, où est le problème ?
Nous l’avons compris, De Kervasdoué fonce dans le tas, et rétablit certaines (ses !) “vérités”, dont encore celles-ci : la sélection naturelle est la principale cause d’extinction des êtres vivants et non l’homme ; la culture bio ne tient pas la route ; la peur des antennes GSM est infondée ; on a une fausse perception de la “nature” ; les seules énergies vertes seront incapables de répondre aux besoins de l’humanité ; l’homme vit depuis la nuit des temps avec les nanoparticules et il est idiot d’avoir peur de la nanotechnologie ; les liens entre l’alimentation et la santé sont mal compris, etc. Et de nous rappeler : “malgré tout, l’espérance de vie augmente.” (p. 88)
Bon, ça va, vous n’êtes pas tombé de votre chaise ? Moi je reste zen, car j’ai lu le livre…
La fin de l’obscurantisme ?
Si certaines affirmations me paraissent convaincantes, d’autres me laissent sceptiques, comme celle expliquant qu’on ne manquera jamais d’eau (certes l’auteur s’est fait aider d’un spécialiste, mais son analyse ne porte que sur la France – la belle affaire !), ou celle sous-entendant que les produits chimiques restent la solution la plus efficace pour une agriculture qui devra nourrir 9 milliards d’humains (ça a un air de déjà vu !).
Certes toutes ses explications sont illustrées d’exemples qui ont le mérite de révéler notre ignorance. Mais on peut trouver autant de contre-exemples pour être en désaccord avec l’auteur, et le prochain livre chroniqué est quasiment l’antithèse de celui-ci !
Me voici donc un peu sorti de l’obscurantisme, mais le débat n’est pas clos… Mais le sera-t-il un jour ?
“La peur est au-dessus de nos moyens”, par Jean de Kervasdoué, 237 pages, PLON
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