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Freakonomics

Économie saugrenue

Voici un ouvrage écrit par le journaliste Stephen Dubner en collaboration avec un économiste original : Steven Levitt. Celui-ci applique les théories de sa discipline à des domaines non économiques, pour analyser des faits de société. Le journaliste, trouvant ces démarches dignes d’intérêt, lui a proposé d’en faire un livre : c’est “Freakonomics” , vendus à 4 millions d’exemplaires…

Mais en quoi ça consiste au juste ?

De sujets légers au plus grave

En n’étudiant que les chiffres (des statistiques), notre économiste inventif donne des réponses à des questions diverses comme : le Ku Klux Klan a-t-il fait autant d’actes violents qu’on lui attribue ? (non) ; les enseignants trichent-ils avec les résultats d’examen ? (oui – aux Etats-Unis, les écoles les plus efficaces sont récompensées et celles à la traîne sont sanctionnées) ; les dealers gagnent-ils vraiment beaucoup d’argent ? (non) ; les sumos trichent-ils ? (oui !)…

Freakonomics c'est maintenant un film

Des sujets légers et ludiques, sauf pour cette question-ci, qui a mis notre économiste sur le devant de la scène : mais où sont passés les criminels ?

L’Amérique n’a pas plongé dans un bain de sang comme prévu

Jusqu’à la fin des années 80, aux Etats-Unis, la criminalité n’a cessé d’augmenter, à tel point que beaucoup voyaient dans l’avenir du pays une situation proche de Mad Max ou New York 1999 ! Et puis, au début des années 1990, “la décrue s’est amorcée de façon si rapide et massive que tout le monde a été pris de court.” (p. 176). Non seulement les experts n’avaient pas vu venir ce virage à 180°, mais en plus se sont lancés dans de nouvelles explications : nouvelles méthodes policières, durcissement des peines de prison, bonne santé économique, etc. Pour Levitt, aucun de ces motifs ne pouvaient expliquer une baisse aussi spectaculaire de la criminalité, même en les combinant toutes (l’auteur consacre plusieurs dizaines de pages à les démonter).

L’explication est à chercher ailleurs, et ça ne va pas faire plaisir à tout le monde…

Un troc qui peut choquer

Cette baisse de la criminalité s’est étendue progressivement : d’abord dans un État, puis un autre, puis plusieurs, puis dans l’ensemble du territoire. En remontant dans le temps, Levitt constate que ce développement géographique coïncide avec… la légalisation de l’avortement ! Chaque État l’ayant appliqué, a rencontré cet effet inattendu une génération plus tard, au moment où les “enfants non nés” auraient atteint l’adolescence. La légalisation ayant rendu cette opération accessible aux femmes les moins favorisées, ce sont elles qui en ont le plus profité. A l’époque, une étude indiquait que ces enfants non nés auraient eu 50 % de plus que la moyenne de connaître la pauvreté, et 60 % de plus que la moyenne de grandir dans une famille monoparentale : ces deux facteurs “comptent parmi les plus forts indicateurs d’une délinquance future” (p. 206). L’auteur résume : “La légalisation de l’avortement a permis qu’il y ai moins d’enfants non désirés (ne pas être désiré peut conduire au crime), par conséquent, la légalisation de l’avortement a entraîné une diminution de la criminalité.” (p. 207).

Voilà qui apporte de l’eau au moulin des “pro avortement”. Mais ce serait malhonnête de ma part d’arrêter cet article sur ce fait troublant, sans mentionner un autre chiffre : environ 1.500.000 avortements sont faits chaque année aux Etats-Unis. Les “anti IVG” pourront donc dire que c’est autant de meurtres en échange de cette diminution de victimes de la criminalité : un troc inacceptable.

Hitler contre Mozart

Voilà que ce drôle de livre m’a entraîné dans les sables mouvants d’un débat de société qui déchaîne les passions. Et je ne vais pas m’en extraire sans y laisser ma trace…

Car s’inquiéter pour l’avenir de la planète conduit à une conscience écologique qui n’est pas compatible avec l’idée d’avoir une croissance démographique continue. Ce qui m’oppose à l’idée de donner la vie dans n’importe quelle condition. Si les antis IVG aiment à dire que ce sont des “Mozart qui ne verront jamais le jour”, je rejoins ceux qui disent “Ce sont des Hitler qui ne verront jamais le jour”.

Malgré tout, dans cette bataille d’opinion, d’éthique est de religion, c’est la réflexion d’un ami (il se reconnaîtra) qui m’inspire cette conclusion : pour ou contre l’avortement, il n’y a que la femme qui peut en décider. Et il est important qu’elle puisse la prendre sans être influencée (ni menacée !), “en son âme et conscience” : que ce soit dans un sens… comme dans l’autre…

ExtraPaul lit Freakonomics
Freakonomics porte un regard décalé sur notre société...

“Freakonomics” par Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner, Folio, 336 pages.

Ne pas donner vie à un enfant non désiré, un mieux pour la société ?

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Mark Miller sur une moto CZYSZ

La course des motos vertes

Sundance Channel est une chaîne TV plutôt mystérieuse quant à sa programmation. Elle est offerte par mon télédistributeur : quand je zappe dessus, je tombe le plus souvent sur un film avec des jeunes se posant des questions existentielles… Jusqu’à l’autre jour où débarque un documentaire avec des motos high-tech : celles de Tron ? ; celle de Batman ? Non, mais bien les motos de notre futur…

En 2009, le Tourist Trophy de l’île de Man, une course moto consistant à faire le tour de l’île de Man, créait une nouvelle compétition : le The Zero Carbon, Clean Emission Grand Prix. Elle concernait les motos électriques. Afin de ne pas les mettre en compétition avec les motos de course classiques, l’organisateur les faisait concourir quelques jours avant, avec un règlement adapté… disons plus “large”.

Bande annonce de “Charge”

Le film sur lequel j’étais tombé, probablement “Charge” ,  suit les équipes de par le monde, préparant leur bolide en vue de cet événement qui fera date dans l’histoire de la course moto. En Inde, en Allemagne, aux Etats-Unis, nous assistons à la mise au point d’engins où tout est à repenser, car les règles mécaniques traditionnelles n’ont plus cours. On met aux point des batteries surpuissantes (gare aux décharges !), on hésite entre un, deux ou trois moteurs (souvent des moteurs Agni, inventés par Cedric Lynch, grand savant un peu fou que l’on voit dans le film), et on se demande même s’il ne faudrait pas mettre un changement de vitesse pour ne pas déstabiliser le pilote. Bref, on réinvente tout, et les moments de désespoir ne manquent pas.

A l’approche de l’événement, la caméra fait le tour du public et des professionnels pour avoir leur avis sur l’arrivée des motos électriques dans cette course prestigieuse. Ça ricane, ça se moque : nous sommes dans un milieu qui ne jure que par le rugissement des moteurs et l’odeur d’essence, et une technologie propre et silencieuse n’y a pas sa place. On s’attend à voir passer des motos bricolées avançant aussi vite que des mobylettes : n’a-t-on pas monté à 50 minutes le temps de qualification alors que les pros font le tour en moins de 18 minutes ? Ah ça non, elles n’arriveront jamais à concurrencer le moteur à explosion – et puis à quoi ça sert ? Il faut quand même brûler de l’énergie pour avoir de l’électricité…

Mais quand ces motos débarquent sur le bitume, on s’étrangle avec son hamburger et les lunettes de soleil tombent du nez : on n’est pas dans le bricolage, le futur est bien là – et c’est d’autant plus impressionnant qu’il arrive avec des équipes et des constructeurs inconnus.

Mark Miller sur une moto CZYSZ
Une Honda ? Une Suzuki ? Non, une CZYSZ !

Et puisqu’on n’est pas dans l’amateurisme, des pilotes habitués au circuit sont sollicités pour monter ces nouveaux bolides. Après quelques explications (n’accélérez pas trop vite, ne maintenez pas le maximum pendant longtemps, ayez la jauge d’énergie à l’œil…), les voilà partant dans un sifflement de turbine… pour revenir enchanté ! Certes, on n’atteint pas encore les grandes vitesses (140 km/h de moyenne, quand-même !), mais les pilotes ont la sensation de glisser sur la route… et n’ont jamais vu autant d’animaux sur le parcours : ces derniers n’entendent pas arriver les motos, tout simplement ! Il y en a même un (de pilote, pas d’animal – quoique !) pour dire que c’est le plus beau jour de sa vie !

Bien-sûr, il y aussi des frustrations et beaucoup ne terminent pas le tour : batterie à plat ou moteur brûlé, on voit alors les pilotes pousser leur moto jusqu’à la prochaine descente, espérant relancer leur monture avec laquelle ils ont déjà un lien d’affection.

Ah les amis, j’ai suivi ce film avec passion et émotion. Après cela je vois nos motos (et voitures) comme les futures générations les verront : des machines fumantes, bruyantes et inefficaces. Car une autre information est apparue durant ce film, moment clé de cet article : le rendement d’un moteur à explosion (pour une moto de course) est de maximum 35 %. Avec le moteur électrique… on est à 90 % ! Et en plus, on récupère l’énergie du freinage.

Tout cela se passait en 2009. Aujourd’hui il y a un championnat pour les motos zéro carbone, le TTXGP, et d’aucuns disent qu’en 2014, elles iront aussi vite que les classiques.

Le futur est à notre porte : ce ne sont pas encore les voitures volantes, mais si je pouvais assister à l’abandon du pétrole comme énergie de transport, je serai déjà très content…

(Les photos utilisées dans cet article proviennent de cette galerie de Motorcycle-usa.com)

Le moteur électrique pour nos transports...

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Mobilou lit l'industrie du mensonge

L’industrie du mensonge

Associations bidon

Science  and Environmental Policy Project, Global Climate Science Communication Team, Wise Use, Conseil pour la science et les technologies agronomiques, Keep American Beautiful, Institut pour la santé des animaux : voilà quelques exemples de vénérables institutions ou campagnes d’information qui ne lésinent pas sur les moyens pour nous donner de sages conseils et remettre les pendules à l’heure…

“Vénérables”, ai-je écrit ?

En fait non : en coulisse de ces messes de la bonne parole nous trouvons les sociétés les plus polluantes et les moins éthiques de la planète, ou à défaut les plus polémiques. Cigarettiers, industries agro-alimentaires et d’OGM, industries du pétrole, du nucléaire, de la chimie, pharmaceutiques : ils ont tous intérêt à contredire des études qui leur portent ombrage, à discréditer les écrits de journalistes indiscrets, à infiltrer les mouvements contestataires, à changer l’opinion publique, à mettre la pression sur les législateurs.

Une guerre à armes inégales

Toutes ces pratiques, appelées “lobbying”, font l’objet du livre “L’industrie du mensonge (relations publiques, lobbying et démocratie)”, écrit par John Stauber et Sheldon Rampton. Si le livre date de 1995 et ne porte que sur les pratiques en Amérique, sa réédition française (2012) a le grand mérite d’être complétée, en fin de chaque chapitre, par des notes et des remarques actualisant les propos, ou donnant des faits sur le territoire français.

Le lobbying est une pratique qui m’a toujours dérangé : d’aucuns disent qu’il fait partie du jeu démocratique, et que les associations ou mouvements de contestation, dans n’importe quel domaine, en usent aussi.

Mais à la lecture de cette enquête, on prend vite la mesure de l’argent que les industries toutes-puissantes dépensent pour imposer leurs idées. Par rapport aux moyens de leurs adversaires, c’est David contre Goliath : aucun équilibre dans cette guerre de l’information et d’influence.

Plus de CO2 aide l’écosystème !… (traduction)

Journalistes sous pression

C’est d’autant plus vrai que le métier le plus emblématique d’une vraie démocratie, à savoir celui de journaliste, est de plus en plus sous le contrôle de multinationales achetant la presse, les éditions et les télévisions. “Ils sont beaucoup plus étroitement surveillés que le public qu’ils sont censés informer…” (p. 313). A côté de cette pression sur les journalistes, nous avons des pratiques douteuses comme celles de donner aux télévisions des reportages préfabriqués (p. 311)  : des “packages” faits par des sociétés de production dont il vaut mieux ne pas connaître le financement. Ces packages contiennent une émission complète, montée, avec un dossier indiquant le journaliste de studio peut intervenir ainsi que des suggestions sur quoi dire. Ils contiennent aussi les images brutes que la télévision peut monter à sa guise : ça c’est pour les grandes, celles qui veulent faire croire qu’elles font encore du journalisme d’investigation.

Votons contre l’assurance santé

Avant cette lecture, je m’imaginais le lobbying comme des personnes en costume, bien propres sur eux, harcelant les parlementaires dans les couloirs de nos institutions…

Mobilou lit l'industrie du mensonge
Mobilou se fait une opinion en lisant un livre influençable

En fait c’est un peu comme cela en Europe. Mais aux États-Unis le lobbying est devenu une science pour changer l’opinion publique, pour que celle-ci fasse pression sur le législateur. Ainsi cet exemple où à son époque, Bill Clinton voulait réformer le système de la santé (p. 291). Il avait de grandes chances de réussite : son parti, quelques républicains, et l’opinion publique y étaient favorables. C’est alors que les sociétés d’assurances et pharmaceutiques ont lancé une campagne d’informations (dont notamment la vidéo “Harry and Louise” dont l’argument était… que ça entraînerait des tracasseries administratives !). Un système diabolique (p. 296) consistait à inviter les gens à téléphoner à un numéro vert (affiché après une publicité contre la réforme, évidemment) : ils étaient accueillis par un télévendeur qui, après quelques mots, les transférait au représentant local du congrès… Celui-ci recevait alors l’appel d’un citoyen en colère, sans connaître tout le cheminement ! Et c’est ainsi que les Américains en sont venus à dire : non, nous ne voulons pas de cette réforme de l’assurance santé.

L’arnaque de l’information

Ah cette “industrie du mensonge”, c’est un sujet vaste, et je le traverse en zigzag sans savoir où donner de la tête : espionnage, introduction d’agents perturbateurs dans les ONG, faux témoignages, paroles d’experts inexistants, opinions d’associations bidons, faux rapports, campagnes de dénigrement, faux représentants…

Quant aux instigateurs, ne croyez pas qu’il ne s’agit que de grosses industries : ce sont aussi des dictateurs voulant se donner une bonne image en dehors de leurs frontières, des gouvernements voulant justifier une offensive militaire, des partis politiques voulant contrecarrer des projets de loi…

Quand je suis arrivé à la fin du livre, je me suis dit “certes, mais maintenant nous avons Internet, et donc accès à toute l’information que nous voulons pour nous faire une opinion”. C’était sans compter le dernier chapitre annexé à l’édition française, qui nous explique que la fausse information est introduite en masse, par les mêmes acteurs, et que par toutes les ficelles du référencement, celle-ci arrive en tête dans les moteurs de recherche !

Pauvre démocratie

J’ai refermé ce livre en me disant que, décidément, on ne mesure pas les moyens déployés pour forger nos idées. Certes, tout cela se passe principalement dans le pays le plus libéral de notre planète, mais celui-ci est souvent pris pour modèle et nous montre ce qu’il pourrait nous arriver. On est pour ou on est contre les principes de ce pays, mais je termine par un dernier fait qui justifie ma place dans le deuxième camp : près de la moitié des membres du Congrès, sénateurs et représentants sont millionnaires (p. 267). Ont-ils les mêmes intérêts que la population ? Permettez-moi d’en douter, et de conclure comme les auteurs qu’un autre pouvoir se substitue à la démocratie…

“L’industrie du mensonge” (John Stauber & Sheldon Rampton), Elements (Agone), 408 pages.

Le lobbying...

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