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La tyrannie des logos

Mobilou No Logo
Mobilou cache sa marque sur le front

Le premier livre qui a cristallisé mon intérêt pour nos problèmes de société est “No Logo”, de Naomi Klein. Gros livre de presque 700 pages (en enlevant les 50 dernières pages de notes et annexes), voilà un pavé que je m’étais fait offrir à la Noël 2010 : cadeau symbolique pour une fête de grande consommation, le point de départ de mes nouvelles résolutions pour les années à venir…

Sous-titré “La tyrannie des marques”, ce livre a fait grand bruit lors de sa parution (en 2000) car il donnait un éclairage nouveau sur les grandes “marques” et leur stratégie agressive. C’est que Naomi Klein a fait un vrai travail de terrain, parcouru les pays où un nouvel esclavagisme s’est mis en place pour fabriquer les articles de marque que nous affectionnons.

L’ouvrage se divise en 4 parties dont les titres résument la situation : Zéro Espace (produire une marque et non une marchandise : l’espace est occupé par le marketing agressif), Zéro Choix (nos habitudes de consommations sont dictées par les marques, et elles s’imposent dans tous les pays), Zéro Boulot (une marque est grande par son image mais petite en terme d’emplois : elle ne gère que la conception d’un produit, et pas sa fabrication, sous-traitée à des usines délocalisées), Zéro Logo (la résistance se met en place).

Autant vous dire qu’après avoir lu ce livre, vous n’avez plus envie de porter des vêtements affichant ostensiblement un swoosh ou 3 barres obliques. Le terme de “sweatshop” (commerce de la sueur) prend tout son sens, et encourage à s’habiller “éthique”  – chose très difficile quand on veut rester dans l’air du temps, je vous l’accorde (voyez mon constat chez Amercian Apparel) !

Je ne vais pas développer toutes les idées du livre (au hasard : les chaînes de restauration, la main-mise sur la presse, l’utilisation des stars, le modèle Wal-Mart, l’infiltration dans l’enseignement…), car depuis lors la face cachée de nos marques a fait l’objet de nombreux reportages et articles de presse – ce qui donne, à mon sens, moins d’intérêt à cette lecture. Si par contre vous voulez aborder tous les aspects, euh pardon, méfaits, de notre mondialisation, vous aurez de quoi vous mettre sous la dent…

Mais je terminerai par quelque chose que Naomi Klein ne pouvait nous montrer quand elle a écrit son livre : une vue aérienne de Cavite, aux Philippines, qu’elle visita non sans problèmes. Si vous faites une recherche “images” sur internet à propos de cet endroit, vous aurez l’impression d’être dans un village de vacances. Et pourtant, c’est avant tout une immense zone de manufactures protégée comme une forteresse : après avoir franchi sa clôture, les milliers de travailleurs débarquent dans une zone de non-droit, en dehors de la juridiction du pays, condamnés à travailler dans des conditions d’un autre âge. La vie de ces gens est un vrai désastre, et contredit le fait que “nos multinationales apportent le bien en faisant travailler les gens du sud” – je vais être prudent : en tout cas, pas à Cavite !

Et je conclus : si les “marques” ne cherchaient pas le profit à tout va, nous ne verrions pas sur terre ce retour à l’esclavagisme.


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“No Logo” par Naomi Klein (743 pages), éditions Actes Sud.

La plupart des "marques" engendrent une exploitation inhumaine des travailleurs "du sud" (plusieurs réactions possibles)

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Paul et Mobilou survolent Petropolis

Bienvenue à Petropolis, le bac à sable du futur

ARTE est ma chaîne préférée, mais je dois avouer que leurs films ne sont pas toujours faciles. Et je me demande qui a consacré 43 minutes à regarder (tard) “Petropolis” ? Tourné par Greenpeace Canada, il s’agit de “perspectives aériennes sur les sables bitumineux” de la mine à ciel ouvert d’Alberta. On n’est pas très loin d’un “La Terre vue du Ciel”, mais on n’a pas le sourire enthousiaste de Yann, ni de luxuriants paysages aux couleurs éclatantes : plutôt des images surnaturelles aux formes abstraites qui pourraient être belles si elles ne signifiaient pas la destruction de la forêt boréale qui s’y trouve…

Le film se déroule sans commentaires (juste quelques textes au début). Sur une musique ambiant minimaliste (qui pourrait aussi fonctionner sur des paysages lunaires), nous survolons une plaie ouverte sur la terre : un chantier colossal mis en œuvre pour extraire du bitume brut.

Il s’agit en fait de la deuxième plus grande réserve de pétrole au monde : si toutes les ressources y étaient exploitées, elle atteindrait la taille de l’Angleterre !

Paul et Mobilou regardent Petropolis
Nous regardons Petropolis : Mobilou en a les cheveux qui se dressent sur la tête !

Biensûr, étant donné le commanditaire, le film est à charge, mais les images parlent d’elles-mêmes. Vu du ciel, l’enfer s’étend jusqu’à l’horizon. Et pourtant, nous apprenons à la fin du voyage que nous n’avons survolé que 3 % du chantier !

Après ça, nous irons visiter le site officiel de la région d’Alberta, haut lieu du tourisme (pour combien de temps encore ?) : www.oilsands.alberta.ca. On peut y lire tout le bénéfice de cette exploitation : création d’emplois, contribution à l’indépendance énergétique pour le continent, argent injecté dans la préservation de l’environnement et projets de société…

Entre ce site web et le film de Greenpeace, c’est le grand écart. Les points de vue sont opposés, et suivant ses convictions on choisira son camp. Mais beaucoup de voix s’élèvent pour dire que l’exploitation du sable bitumineux est le plus destructeur des procédés d’extraction d’énergie fossile. Même si vous n’êtes pas écologiste, regardez les images, et cette fois dites-vous que l’on paie le prix fort pour faire rouler nos belles voitures !

Quand je vois cette balafre sur la terre, je pense aux Primiens dans l’épopée “L’Étoile de Pandore” de Peter Hamilton : ils arrivent sur une planète pour en extraire toutes les ressources qu’ils ont besoin, sans considération pour les formes de vie s’y trouvant, puis envahissent la planète suivante, laissant derrière eux une boule de boue toxique.

Eh bien il ne faudra pas attendre les Primiens : nous avons déjà commencé le travail…

(Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les sables bitumineux d’Alberta, je vous propose cet article dans le blog KKKanada.)

L'exploitation des sables bitumineux : un mal nécessaire ?

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Livre "Le Cygne Noir" de Taleb

Le Cygne Noir : nous vivons en Extrêmistan

Livre "Le Cygne Noir" de Taleb
Un livre plein d’enseignements

Un Cygne Noir est un événement inattendu et surprenant qui détruit vos convictions, met à terre vos plans, change vos théories…

Et Nassim Nicholas Taleb en développe le sujet sur presque 500 pages écrites en tout petit : un ouvrage dense entre science et philosophie, qui a séduit plus de 2 millions et demi de lecteurs dans le monde.

C’est que ce genre de lecture peut changer votre façon de voir les choses. Et en ce qui me concerne il y a un “avant” et un “après cygne noir” – même si ça n’a pas changé radicalement ma vie… Car mr Taleb, qui enseigne les sciences de l’incertitude, analyse en profondeur notre manière de penser, notre volonté de vouloir prédire l’avenir (le propre de l’homme), nos sciences se fondant sur l’expérience, notre perception fondée sur notre vécu, et le fait que nous continuons à diriger nos vies en minimisant l’importance des événements inattendus.

L’idée centrale de ce livre concerne notre cécité face au hasard, et spécialement aux événements qui se démarquent particulièrement de nos attentes” (p.11).

L’auteur en a surtout après les sciences qui développent des théories sur base des cas normaux, minimisant les incertitudes, pour faire entrer les probabilités dans une belle courbe en cloche (courbe de Gauss) : ils les appellent les GEI (Grande Escroquerie Intellectuelle, p.19). En première ligne, les économistes !

Or il y a deux groupes d’événements dictant les modèles mathématiques, pour lesquels l’auteur imagine deux pays : le Médiocristan et l’Extrêmistan.

En Médiocristan c’est le règne de la normalité, de la courbe de Gauss : les événements extrêmes n’ont pas de conséquences sur la masse. Prenons 100 personnes et calculons-en la taille moyenne : le chiffre que nous obtenons déviera peu si nous réitérons l’expérience sur d’autres groupes de 100 personnes, même si parfois nous aurons quelques nains ou géants dans notre échantillon… Nous ne risquons pas d’avoir des moyennes de 3 mètres ou 3 centimètres, et nous pourrons en tirer des conclusions valables.

En Extrêmistan, la courbe de Gauss ne marche plus, car une seule donnée, extrême, peut réduire les autres à l’état d’insignifiance, et faire tomber les théories que nous élaborions avant de rencontrer cette anomalie. Poursuivons donc notre expérience avec nos échantillons de gens pris au hasard et établissons le salaire moyen : déjà là, les écarts vont bien varier d’un groupe à l’autre. Mais ok, à force de répéter l’expérience nous trouverons une moyenne… Jusqu’à ce que nous arrivions à un groupe où, pas de chance, se trouve Bill Gates ! Et voilà la moyenne des salaires qui monte en flèche, dans des proportions tellement énormes que les autres ne servent qu’à nous donner des erreurs d’arrondi ! Nous sommes tombés sur un cygne noir : jusqu’à ce qu’il arrive, nous étions persuadés qu’un salaire moyen était X, et que Y en était à peu près le maximum.

Voilà, bienvenue en Extrêmistan, un pays plus vaste que vous ne croyez : celui où un attentat peut mettre en crise la planète, où une simple idée peut vous rendre milliardaire, où la dinde est persuadée d’être nourrie par un bienfaiteur, où un tremblement de terre met en péril l’avenir du nucléaire. Et surtout où les phénomènes sociaux sont imprévisibles : un marchand s’immole par le feu et c’est l’Afrique du nord qui s’enflamme ! Autant d’événements qu’aucun économiste ne peut prédire, et pourtant ce sont ces événements qui font notre histoire. Autant dire que les spécialistes de tout poil, en particulier ceux qui donnent des conseils pour l’avenir, sont sévèrement jugés par Nassim Taleb.

Le hasard est ce que je ne peux pas deviner parce que ma connaissance des causes est incomplète, pas nécessairement parce que les propriétés du processus sont vraiment imprédictibles.” (p.391). Ici, le hasard n’est pas d’un dé qui roule pour ne sortir que des chiffres entre 1 et 6 !

Dans cet article je n’expose qu’une des nombreuses idées de mr Taleb, qui nous dit de ne pas écouter les spécialistes tirant des plans sur notre futur. A titre personnel j’en tire une leçon : mon blog portant justement sur les domaines les moins prédictibles de nos connaissances, le Cygne Noir me guette. Si je peux me faire une opinion, je ne dois pas m’enfermer dans des convictions, et garder la porte ouverte à un facteur chance, accepter que mes connaissances ne me permettent pas d’imaginer l’improbable…

Si votre esprit est encore embrumé par tout ce que je viens de raconter, je ne manquerai pas de faire référence aux préceptes de Mr Taleb dans mes futurs articles. Et qui sait, peut-être que l’un d’eux expliquera l’histoire de la dinde…

“Le cygne noir”, éditions Les Belles Lettres, 479 pages.

Invasion of the saucer-men edited
Quand nous serons 10 milliards, les extra-terrestres viendront nous “récolter”. Et aucun économiste ne l’aura prévu !

Pour Nassim Thaleb, un économiste est plus proche d'un charlatan que d'un scientifique

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