Archives de catégorie : Lecture

Mes lectures aident à me forger une opinion, et m’inspirent certaines réflexions.

Faut-il faire sauter Bruxelles ?

Faut-il faire sauter Bruxelles, enfin, le kilomètre carré constituant le quartier européen ? Un petit livre nous invite à en fait le tour, afin de nous en convaincre…

Balade à Euroland

Il est provocateur, ce titre ? Mais l’Europe l’est aussi ! S’il faut chercher un prétexte à s’insurger, on le trouve rue Wiertz, et c’est par là que commence l’itinéraire touristique et critique de l’auteur : une plaque commémorative félicitant la bonne collaboration entre le Parlement et… la SEAP, soit la Fédération européenne du lobbying et public affairs !

L’auteur est français, c’est François Ruffin, reporter pour France Inter et Le monde diplomatique. Il n’est pas né de la dernière pluie, mais n’empêche, voir le lobbying s’afficher avec autant de franchise, il n’en revient pas : pourrait-on imaginer les lobbies du nucléaire remercier le Sénat dans les jardins du Luxembourg ?

Ruffin a donc fait un itinéraire touristique de la capitale européenne, en six étapes : le Parlement européen, la Commission européenne, le bâtiment Jacques Delors, la Confédération européenne des syndicats, DG Environnement et la Sofina.

Un périple aux allures d’un reportage de Michael Moore : Ruffin interpelle les décideurs, téléphone, écrit, sonne aux portes, intervient dans les conférences de presse… Mais ne parvient pas à faire de vagues : l’institution européenne est une grosse machine bien huilée, et personne n’est là pour la gripper !

Ils jouent au football ensemble

Heureusement pour l’auteur, il n’est pas tout seul à s’insurger…

Ici, il n’y a pas de peuple. Il n’y a personne pour dire ‘Vous n’avez pas le droit’. Les députés sont laissés dans le vide, loin de leurs décideurs, adossés à rien. Et donc, ce sont les lobbies qui remplacent le peuple !” . Voilà ce que nous explique Olivier Hoedeman, de l’ONG Corporate Europe Observatory.

Et voici la suite, page 30, pour répondre à l’auteur qui s’inquiète du manque de sens critique des journalistes :

[…] Il faut comprendre l’atmosphère bruxelloise. Ici, les lobbyistes, les assistants, les journalistes, les juristes, ils sont tous expatriés. Alors, ils forment une communauté. Ils s’invitent les uns les autres, ils jouent au football ensemble, ils deviennent amis – et plus si affinité. Ça anesthésie le débat public.

Faut-il alors s’étonner que pour réformer le milieu bancaire, les politiques suivent une feuille de route basée sur un “rapport officiel, mais plutôt confidentiel” , rédigé par des experts ayant au moins un pied, mais souvent les deux, dans le milieu de la finance ?

– Choisir une personne de Lehman Brothers pour travailler sur la régulation…
– Mais écoutez, il fallait des experts qui connaissent le système…” (réponse du porte-parole du président Barroso, p. 43)

Chacun a sa manière de se plaindre de l'Europe !
Chacun a sa manière de se plaindre de l’Europe !

La faiblesse tranquille

Peter Mertens l’expliquait déjà dans son livre “Comment osent-ils ?” : l’Europe a été faite pour les entreprises, pas pour le progrès social. François Ruffin surenchérit donc sur cette thèse, et il faut dire qu’il ne rencontre pas grand monde voulant inverser le mouvement.

Et la seule institution qui pourrait faire front semble gangrenée par le politiquement correct : la Confédération européenne des syndicats, qu’il surnomme “la faiblesse tranquille”, ne cherche pas la confrontation, mais établit des alliances, met en place des plateformes de discussions, se repose sur une communication efficiente. Une belle collaboration qui lui vaut les félicitations de la Commission !

En face se tient une armée, qui instille ses mots dans les esprits, qui impose ses lois dans les parlements, qui quadrille l’échiquier de la démocratie. Et contre ces régiments de la résignation, on en appelle au bon sens, à la compréhension de nos dirigeants, à des agences de communication ? Le remède ne paraît pas à la hauteur du mal.” (p. 71)

Le jeudi soir, c’est la fête

Le petit livre de François Ruffin se lit avec plaisir, mais on le referme avec une certaine inquiétude. Certes il fait l’impasse sur tout ce que l’Europe apporte de positif (si si, il y a des bonnes choses), mais n’oublions pas que Bruxelles est la deuxième place forte du lobbying, après Washington, et ça ce n’est pas une bonne nouvelle. Regardez-donc “The Brussel Business” : cela devrait égratigner l’image que vous vous faites de cette belle institution.

Il y a toutefois un endroit que notre reporter a manqué : la place du Luxembourg, le jeudi soir. Tous les eurocrates sont là, font la fête, et il y aurait certainement trouvé des syndicalistes trinquant avec quelques lobbyistes, de l’agriculture industrielle par exemple

L’auteur finit son livre en proposant de faire sauter le quartier européen. En se demandant s’il faut faire évacuer les bâtiments ! Je lui réponds donc : si c’est un jeudi soir, la question ne se pose pas !

Dans “Le Président” d’Henry Verneuil, 1961, Jean Gabin tient un discours visionnaire…

“Faut-il faire sauter Bruxelles ?”, par François Ruffin, 123 pages, Fakir Editions

Faut-il faire sauter les institutions Européennes ?

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Non, construire des prisons…

Non, construire des prisons pour enrayer la délinquance, c’est comme construire des cimetières pour enrayer l’épidémie. Voilà pour le titre de ce livre : peut-il nous en convaincre ?

Hors de vue

Rolland Hénault enseigne le français dans les prisons de l’hexagone, depuis une vingtaine d’années. Les prisons, il le vit de l’intérieur, il côtoie ce monde aliéné, et il tient à exprimer son dégout d’un système qui n’a rien trouvé de mieux pour ranger les écorchés de notre société.

Oui, lisez ce livre...
Oui, lisez ce livre…

J’observe […] que le public ne voit pas les prisons, comme il ne voyait pas les camps de concentration durant la seconde guerre mondiale […]. Disons, d’une façon générale, que la population d’un pays, quel qu’il soit, quelle que soit sa culture, ou quelque soit son régime politique, ne voit jamais les camps, situés pourtant en des lieux parfaitement visibles, et même spectaculaires.” (p. 18)

Bigre, il y va fort !

Mais l’auteur témoigne, constate, philosophe et verse parfois dans le pamphlet. Il l’écrit d’emblée : “Je ne dispose que d’impressions personnelles, dont le lecteur fera ce qu’il voudra (…)” .

Une sacré galerie

Mais d’où ils sortent, ces mecs qu’on enferme ? Où les a-t-on capturés ? Sont-ils des hommes, comme mes collègues de travail, mes voisins, les membres de ma famille, les habitants du bistrot ?” (p. 30)

L’auteur nous offre une galerie de portraits – ou plutôt d’instantanés, car il ne connait  de ses élèves que ce qu’ils veulent bien raconter. Ils ont fait des erreurs, oui, ils sont punis, certes, mais pour la plupart d’entre eux, la vie ne les a pas gâté.

Le Péruvien qui a tué son père, Nadine et le cahier, l’ami du professeur Choron, Nathalie qui se regarde dans le miroir, Jean-Luc le tenancier de la boîte informatique, la comtesse qui ne veut pas partir, le Suédois passe-muraille, la belle muette, le comédien : autant de titres de paragraphe qui nous éloignent des clichés cinématographiques de l’être foncièrement mauvais et haï, emprisonné avec l’étiquette “bien fait pour sa pomme” !

Et il y a Romand de l’OMS…

Romand jette un trouble (…) sur la nature de l’être humain, et il nous force à en mesurer la profondeur et l’incroyable complexité.” (p. 111). C’est ainsi que l’auteur conclut sur cet homme qui a fait l’actualité et inspiré des films. Dans le microcosme carcéral, il voit “un homme d’un dévouement remarquable pour ses co-détenus, qui manifeste ici, en prison, des qualités humaines exceptionnelles.

Cotés en Bourse

L’auteur constate une augmentation de détenus présentant des troubles psychiatriques, ainsi que des victimes de la précarité. Les sévices, l’humiliation et les mauvaises conditions qu’ils vivent entre ces quatre murs ne peuvent être justifiés par la punition : ils le sont déjà par la vie.

La faute à qui ? A eux ? Non : à notre société dirigée par le profit, et qui n’a que faire des laissés pour compte. Ou plutôt si : “Les détenus sont les moteurs de l’économie dans le secteur de la misère. Qu’attend-on pour les coter en Bourse ?” (p. 34)

Autre cause : la “déculturation généralisée”. La télévision abrutissante, le porno, le starsystem, la publicité, et l’enseignement défaillant, contribuent à une perte des valeurs.

Au demeurant, une école, un lycée, c’est très facile à démolir ! Ces établissements sont en effet construits en carton-pâte ! Ce sont les constructions emblématiques de la précarité. Comparez avec le blockhaus de la Banque de France. Ça, c’est du costaud ! Vous comprenez tout de suite la valeur de l’argent par rapport à la culture !” (p. 68)

Le degré de notre civilisation

Ce livre ne fut pas facile à chroniquer ! Certains d’entre vous connaissent ma réticence à enfreindre les règles. Alors, avoir de l’empathie pour des gens coupables de faits graves, j’ai du mal.

Malgré tout, s’attaquer à la cause du mal plutôt que de le combattre est une idée défendue par la plupart des grands penseurs, voire d’associations œuvrant pour une meilleure société. Dostoïevski le disait : “Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons.

C’est aussi un constat dans le livre “Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous” : taux d’incarcération et inégalité progressent main dans la main. Il est sous-entendu que dans les sociétés égalitaires il y a peu de prisons, et encore une fois, les pays du Nord nous montrent l’exemple.

Mais pour le citoyen abreuvé de faits divers, c’est difficile d’admettre que l’incarcération, considéré par beaucoup comme une punition, n’est pas la solution : ce livre s’adresse à eux, comme à moi.

Il apporte donc une pierre à l’édifice – et ce n’est pas celle d’une prison !

“Non, construire des prisons…” par Rolland Hénault, 207 pages, les Éditions Libertaires

Un peinture à 1 million de £ pour la prison de Halden
Un peinture à 1 million de £ pour la prison de Halden

"La délinquance et le crime sont voulus, et rendus indispensables au fonctionnement de la société libérale. Ils font partie intégrante de l'économie." (p. 186)

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Livre Pourquoi l'égalité est meilleure pour tous

Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous

Les écarts de richesse se creusent : tout le monde est perdant. C’est ce que j’ai lu…

L’égalité en priorité…

A l’heure où l’écart des richesses est de plus en plus évoqué comme un problème récurrent dans nos sociétés, voici un livre qui en rajoute une bonne couche sur l’inégalité : même si on est riche, on vit mieux dans un pays égalitaire qu’inégalitaire.

Livre Pourquoi l'égalité est meilleure pour tous
Signets ajoutés par un riche…

Mais qu’est-ce que l’inégalité ? Les auteurs, Richard Wilkinson et Kate Pickettt, professeurs d’épidémiologie, ont étudié les revenus – soit une donnée quantifiable et disponible dans de nombreux pays – pour en mesurer les écarts et déterminer si un pays est égalitaire ou non.

Ainsi, beaucoup de pays anglo-saxons (Etats-Unis, Angleterre, Australie) sont  inégalitaires. Mais aussi… le Portugal.

À l’opposé, on trouve les pays nordiques – on s’en serait douté ! Mais aussi le Japon. Quant à la Belgique, elle est plutôt bien classée.

Les auteurs ne font qu’effleurer la raison pour laquelle un pays est égalitaire ou pas : leur analyse porte sur les conséquences, et elles sont tellement nombreuses et néfastes que la réduction des inégalités devraient être la priorité des gouvernements, bien avant une recherche de la croissance : “(…) l’égalité rend la croissance beaucoup moins nécessaire. Elle est le préalable d’une économie stationnaire.” (p. 330)

… pour gagner sur tous les tableaux

Les auteurs ont utilisé les nombreux rapports et statistiques publiés de par le monde, souvent occidental – ainsi que ceux concernant les cinquante États des USA – pour arriver à leurs conclusions, édifiantes. À un point tel qu’elles leurs ont valu une avalanche de critiques : c’est qu’elles mettent à mal beaucoup d’idées acquises, en particulier celle selon laquelle le PIB serait garant de la bonne santé d’un pays.

Jugez plutôt : réduire les écarts de richesse auraient des répercussions positives comme suit…

  • Meilleurs liens sociaux grâce à plus de confiance.
  • Moins de maladies mentales et moins de consommateurs de drogue.
  • Une meilleure santé et espérance de vie.
  • Moins d’obésité.
  • Un système éducatif plus performant.
  • Moins de maternité précoce.
  • Moins de violence et d’homicides.
  • Moins de peines, moins de prisons.
  • Plus de mobilité sociale (pour résumer : plus de chance de ne pas rester pauvre quand on est né pauvre).

Et si vous vous dites qu’à cette liste il manque l’écologie, détrompez-vous : c’est dans les pays les plus égalitaires que l’on recycle le plus, et où l’on trouve le plus de chefs d’entreprises favorables aux réglementations sur l’environnement.

Santé et problèmes sociaux en fonction de l'inégalité (c) equalitytrust.org.uk
Santé et problèmes sociaux en fonction de l’inégalité © equalitytrust.org.uk

Comme une équipe de base-ball

Résumons-nous : ce n’est non pas la richesse absolue d’un pays qui fait que les gens y vivent bien, mais le peu d’écart entre les couches sociales.

Comment cela se fait-il ?

L’homme est un animal social, et sa place dans la société influence son comportement, même s’il n’en a pas conscience. De plus, la confiance et la reconnaissance jouent un rôle fondamental. Or “l’inégalité accroit la distance sociale entre différents groupes d’individus. Elle diminue notre volonté de les voir comme “nous” et augmente notre propension à les regarder comme “eux”.” (p. 111)

Les écarts de revenu dans la population d’un pays crée donc des tensions, des malaises, et en conséquence un manque de performance dans de nombreux domaines, même au sein des plus aisés. “(…) où que l’on se situe sur l’échelle des revenus, mieux vaut vivre dans un lieu plus égalitaire.” (p. 139)

Les États égalitaires sont donc gagnants dans de nombreux domaines, à l’image de ces équipes de base-ball étudiées durant 9 ans : celles avec des différences de revenus limitées sont franchement meilleures !

Mais alors, si on freine la richesse, ne va-t-on pas perdre une stimulation à l’innovation ? “Dans les sociétés plus égalitaires, le nombre de brevets délivrés par personne est plu élevé que dans les sociétés inégalitaires.” (p. 329)

Toujours plus

L’histoire de l’humanité est un long parcours qui a toujours tendu vers plus d’égalité : abandon du droit “divin” des rois, développement des démocraties, égalité devant la loi, abolition de l’esclavage, droits des femmes, accès à l’éducation pour tous, sécurité sociale, etc.

(c) ExtraPaul
© ExtraPaul pour le texte

Mais le monde économique, avec ses entreprises au pouvoir grandissant, creuse de nouveaux écarts. “Dans bon nombre d’entreprises, un PDG touche en une journée un revenu plus élevé qu’un travailleur moyen en une année.” (p. 366) Or, ces hauts salaires ne sont plus en proportion avec les performances de leur société.

Bon, vous me voyez venir avec des solutions interventionnistes de l’État, à coups de taxes, de règlements et de sécurité sociale. C’est bien sûr une solution, mais voici deux alternatives…

  1. Le Japon est en tête des pays égalitaires, alors qu’il a moins de dépenses sociales – en proportion de son PIB – que les États-Unis (modèle d’inégalité, je vous le rappelle) ! Pour une raison très simple : il y a moins d’écart entre les salaires bruts.
  2. Les sociétés sont de plus en plus dirigées par des investisseurs cherchant le profit à court terme, sans s’intéresser à l’activité. Allons vers l’actionnariat salarié : des études démontrent une amélioration des performances (52 % en plus !) pour des sociétés où les employés sont actionnaires et participent aux décisions.

Une théorie inégale ?

Plus d’égalité pour un meilleur monde : j’aimerais y croire.

Mais l’inégalité peut-il être la base d’autant de maux ?

Un détail m’empêche de fédérer totalement à cette théorie. Il est en page 215 : les auteurs balaient d’un revers de la main l’idée selon laquelle les États-Unis ont connu une baisse de la violence grâce à l’accès facilité à l’avortement. Rappelez-vous, c’était l’analyse de Steven Levitt dans son livre Freakonomics. Je trouvais cette théorie plutôt solide.

Dès lors, combien d’autres théories les auteurs ont-ils ignorées, emportés dans leur conviction ?

“Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous”, Richard Wilkinson et Kate Picket, 505 pages, Les petits matins

Si l'inégalité moderne peut exister, c'est parce que la démocratie est exclue de la sphère économique (p. 388)

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