J’ai le cœur gros comme ça, l’estomac noué : une partie de mon histoire s’en va, bye bye ma collection de livres S-F. Les étagères sont vides, la poussière retombe sur les traces de 30 ans de lectures tandis que je ferme la dernière caisse. Une page est tournée…
Et puis quoi, en fait ?
Croyez-le bien : ma collection de livres de Science-Fiction, je la voyais m’accompagner jusqu’au dernier jour de ma vie ! Elle me survivrait et… et puis quoi, en fait ?
Quel est le sens d’amasser, d’accumuler, de collectionner ? CD, DVD ou BD, passe encore : ça s’écoute/se regarde/se relit plusieurs fois, et ça se prête facilement. Mais des romans SF ? Une telle littérature intéresse peu de monde : ces quelques 600 livres n’ont quasiment été touchés que par mes doigts !
Et donc, j’en suis venu à me demander “… et puis quoi, en fait ?”. L’attache sentimentale et la fierté de posséder cette belle collection ne m’empêchaient plus de prendre du recul, et de la voir comme un signe d’un consumérisme qui m’apporte de moins en moins de satisfaction…
Alors, pour répondre à la question “et puis quoi, en fait ?”, il me fallait trouver une réponse qui aie du sens… N’était-il pas temps que ces livres trouvent de nouveaux lecteurs ? Car un livre, c’est fait pour être lu, non pour prendre la poussière.
Téléportation
N’étant pas dans le besoin, la pire idée aurait été de revendre mes livres : que ce soit en passant par les magasins de deuxième main ou par la vente en ligne, j’aurais vu ma bibliothèque partir en petits morceaux. Une décomposition sans fin, une mort à petit feu qui m’aurait laissé avec une bibliothèque dépareillée.
Un Alzheimer de mon imaginaire, non merci !
Il fallait qu’elle parte en un coup et, si possible, qu’elle se retrouve intégralement autre part (téléportation !).
La donation semblait donc la meilleure solution. Mais qui serait intéresser par une collection appartenant à un genre si spécifique ?
Farenheit 451
Remontons le temps : nous sommes fin décembre 2012, et la fin du monde n’a pas eu lieu, et ma bibliothèque est toujours là. La première piste que j’explore est Oxfam, qui a deux magasins de livres à Bruxelles.
Je vais à celui d’Ixelles : “15.000 titres en rayon” annonce leur dépliant. Et c’est vrai qu’il est bien rempli, ce magasin : comment pourraient-ils reprendre tous mes livres ? J’en parle avec un responsable que j’ai trouvé dans un stock (débordant lui aussi) : oui, ils savent prendre tous mes livres, car ils dispatchent dans différentes centrales. Certains livres iront en rayons, d’autres en brocante, et les invendables… à l’incinération, pour laquelle Oxfam touche des subsides de Bruxelles. Et ils peuvent venir les chercher en camionnette, du moment que je fasse les cartons.
Je ressors du magasin : voilà une première piste intéressante… Mais d’autres associations seraient-elles intéressées ?
Les africains rêvent-ils de moutons électriques ?
Je fais des recherches sur le web mais ne trouve rien de convainquant au niveau de la Belgique. C’est triste à dire, car pour Paris on trouve par exemple cette page, listant les associations à qui vos livres feraient plaisir.
En fait, je trouve surtout des sites invitant à donner ses livres pour l’Afrique. Premier critère pour les romans : pas plus vieux de 10 ans, ce qui disqualifie les trois quarts de ma collection (quoique, les histoires se passant dans le futur !). Mais cela dit, franchement, je ne vois pas les africains se passionner pour cette littérature, que d’aucuns disent typiquement occidentale !
Alors, ais-je déjà fait le tour de la question ?
La bibliothèque est une idée
J’en parle autour de moi, et on me dit d’aller à la bibliothèque du quartier : une évidence qui m’avait échappée ! Ou plutôt que je ne voulais pas voir : je voyais mes livres partir pour une “bonne cause”, pas pour une institution subsidiée ! Et pourtant…
Je me présente donc à celle de Jette, et sort tout mon baratin : « Tous en excellent état, des classiques comme des récents, des cycles complets, etc. » (je sais vendre ce que je veux donner !) Et là, grosse déception (mais ce n’est que le début de l’histoire) : la bibliothèque manque de place car elle vient de fusionner. Et tous les livres de la “paralittérature” sont partis à… Chaudfontaine, spécialisée dans l’imaginaire, et probablement la seule bibliothèque qui acceptera ma donation !
Je ressors de là, particulièrement refroidi, et pas uniquement à cause de la neige !
Deux semaines de réflexion passent…
Le monde des Non-Ja
… et me décident à contacter toutes les bibliothèques de Bruxelles : plus d’une cinquantaine d’emails partent…
Et dans les minutes qui suivent, je reçois un coup de téléphone d’une responsable enthousiaste (c’est Gisèle, je le précise pour la conclusion), en même temps qu’un email positif d’une autre.
En fait, dans les trois jours, ce sont une douzaine de réponses qui arrivent, à diviser en deux groupes : le premier pour accueillir ma bibliothèque, et le deuxième pour me dire… que je ne trouverai pas de bibliothèque intéressée et que je dois m’adresser à celle de Chaudfontaine !
Et comble, je reçois encore deux réponses de Jette : c’est d’abord non, puis c’est oui ! Mais il est trop tard, je me suis engagé auprès de deux bibliothèques du centre de Bruxelles.
Et je ne serai pas déçu par ce choix…
La bibliothèque qui rétrécit
Je ne m’en étais pas rendu compte, mais parce que justement la SF est une littérature pas très populaire (du moins en pays francophones), les bibliothèques n’y investissent pas beaucoup d’argent, et ne savent pas quoi acheter. Alors quand quelqu’un propose une collection complète, c’est une aubaine pour celles qui ont de la place.
Et ça l’est encore plus pour des bibliothèques manquant de renouvellement, comme ça semble le cas de celle où j’ai déposé mes caisses.
Alors qu’au début je voulais ignorer ces institutions, je suis finalement convaincu que c’est la meilleure place pour donner une seconde vie à ma collection. En fait, c’est Gisèle qui a trouvé les arguments : il n’y a pas meilleure endroit qu’une bibliothèque pour qu’un livre profite à un maximum de gens.
Que dire de plus ? Moi, ça me suffit pour contempler avec fierté ma bibliothèque… vide !