“Le cauchemar de Darwin” , documentaire multi récompensé, ne serait qu’une supercherie ! C’est un historien français qui le dit. Ou alors c’est celui qui dit qui l’est ?
Enquête sur l’enquête…
La faute au capitaine
Que ceux qui n’ont pas vu “Le cauchemar de Darwin” lèvent le doigt : c’est le film emblématique des altermondialistes. Sorti en 2004, ce documentaire de l’autrichien Hubert Sauper emporta un succès inespéré : le public se déplaça en nombre, les critiques furent élogieuses, les récompenses tombèrent.
Je résume les propos de ce film coup de poing, pour les rares personnes ayant levé le doigt :
- À des fins commerciales, la perche de Nil fut introduite dans les années 60 dans le lac Victoria. Un choix irresponsable car…
- … ce grand prédateur a remplacé les poissons endémiques du lac, privant les habitants de Mwenza (Tanzanie) de leur nourriture traditionnelle. Mangent-ils alors du Capitaine (l’autre nom de ce poisson maudit) ? Même pas, car…
- … l’animal est traité puis expédié dans nos pays, ne laissant aux habitants que des carcasses peu ragoutantes.
- Cette denrée destinée à notre assiette est transportée par des avions cargos russes. Atterrissent-ils là-bas la soute vide ? Non, ils arrivent chargés d’armes illégales. Ajoutant ainsi une couche d’instabilité à cette région minée par la misère.
Le film est une succession d’images glauques, sans commentaires. Quelques titres et des interviews nous laissent assembler les pièces d’un effroyable drame : nous sommes coupables de spolier les Tanzaniens de leur poissons, et nous les payons en kalachnikovs !
Ce n’était pas un homme avec un seau
Le retentissement du film eu pour conséquences l’appel au boycott de la perche du Nil, l’indignation du monde politique, l’entrée en campagne des ONG.
Toute cette révolution sur la seule foi d’un film d’une heure 47 au montage discutable et sans base scientifique : “Comment expliquer que le Cauchemar de Darwin ait été pris avec un tel sérieux ?” s’interroge François Garçon, spécialisé dans l’histoire et l’économie du cinéma.
En 2005 il publie une contre-enquête dans Les Temps Modernes (et développée dans le livre chroniqué ici), dénonçant le film : c’est une imposture ! Ses arguments, il ne les cherche pas sur le terrain en Tanzanie (ce que lui reprochera le réalisateur et son fanclub) mais en se documentant : rapports de l’ONU et des ONG, interviews du cinéaste, biographie des pseudo-scientifiques défendant le film, actualité du pays, littérature sur la région, études scientifiques sur la faune du lac, etc.
Ses conclusions sont loin du tableau macabre projeté en salles :
- l’introduction de la perche du Nil fut un acte réfléchi, après des années de débat dans la communauté scientifique. Et c’est la Tanzanie qui prit cette décision, dans le but d’améliorer l’économie autour d’un lac pauvre en ressources. On est loin de l’image insinuée par le film : un homme versant un seau de perches au bord de l’eau, un après-midi, comme ça ! ;
- la perche du Nil profite bien aux Tanzaniens : elle a permis une augmentation des activités de la pêche, et les industries du conditionnement donnent des emplois bien rémunérés. Même les carcasses (les pankies), que le film fait passer pour la nourriture locale, développent l’économie : elles servent de nourriture animale ;
- rien ne prouve que la perche du Nil est à l’origine de l’appauvrissement du lac : les rejets de l’agriculture intensive et des industries pourraient en être les causes premières ;
- et surtout : le trafic d’armes est une invention !
Trafic de bottins
Ce dernier point est celui qui fâche ! Car le supposé trafic d’armes est la révélation qui rend le film explosif. Au point d’en inspirer l’affiche.
Or, aucune image n’étaye cette théorie, malgré sept mois de tournage. C’est une idée suggérée par un habile montage et des interviews orientées.
Notre historien peut-il, à son tour, prouver l’absence de trafic d’armes ? Hélas non. Mais il se base sur des évidences :
- les transporteurs n’ont pas besoin de ramener des armes pour rentabiliser leurs voyages entre la Tanzanie et l’Europe ;
- Mwanza est mal située pour développer un tel réseau de contrebande ;
- la Tanzanie ne souffre pas de la présence de bandes armées et de conflits ethniques (c’est même un des pays les plus stables de la région) ;
- les ONG n’ont jamais constaté de tels agissements.
“En clair, à Mwanza, les seules armes se trouvent dans la tour de contrôle de l’aéroport. Ce sont les bottins téléphoniques destinés à écraser les mouches et autres insectes volants.” (p. 204)
Cauchemar mis en scène
Dans son livre, Garçon ne manque pas d’arguments pour démonter le film. Mais il règle aussi ses comptes avec la presse qui a manqué de sens critique, avec un public irresponsable (boycotter la perche du Nil serait un désastre économique pour la Tanzanie), et avec le réalisateur qui lui a intenté un procès en diffamation. Mais à en croire certains compte-rendus, Garçon présente aussi quelques propos discutables.
Alors finalement, qui croire ?
Je n’ai pas revisionné le film. Mais je l’ai survolé à la recherche de certaines séquences révélatrices. Comme cette scène avec les enfants se bagarrant pour du riz, à 1h10 : les plans ne semblent pas être pris au même moment, la bagarre sonne faux, les adultes restent impassibles, les enfants semblent en bonne santé. N’est-ce pas une mise en scène ? “Question cauchemar […] Sauper a respecté son cahier des charges.” (p. 163)
La contre-enquête de Garçon me semble plus honnête que le film de Sauper.
Décidément, après les révélations sur les méthodes douteuses de Michael Moore, on se demande si un film documentaire destiné aux salles peut rester honnête !
“Enquête sur le Cauchemar de Darwin”, François Garçon, 266 pages, Flammarion
Pour compléter cette enquête :
- Le lac Victoria (Afrique de l’Est) malade de la perche du Nil : réalité, mythe ou mystification ? (Natures Sciences Sociétés)
- Le Cauchemar de Darwin, une supercherie grosse comme la Tanzanie (reprend un article de LeMonde.fr avec une interview de la réponse de Sauper à Garçon)