Archives de catégorie : Lecture

Mes lectures aident à me forger une opinion, et m’inspirent certaines réflexions.

"Indignez-vous" et "Ce vieil homme m'indigne"

L’indigné de l’indigné

Or donc, il y a quelques semaines je participais à la manifestation des indignés, et j’expliquais brièvement l’origine de l’appellation. En voici la chronique complète, accompagné de son antithèse…

Un phénomène de l’édition

“Indignez-vous !” est un manifeste de 14 pages que l’on doit à Stéphane Hessel, ancien résistant de 93 ans, à qui on a demandé de développer un discours prononcé lors d’une commémoration. Complété de quelques notes d’information et d’une bio, voilà un petit fascicule de 32 pages qui, à la bonne surprise des éditeurs, s’est écoulé à… 4 millions d’exemplaires en 32 langues !

Indignez-vous ! nous dit l’ancien résistant

Mais que raconte monsieur Hessel ? En voici les 6 chapitres :

  1. Le motif de la résistance, c’est l’indignation : il appelle la jeunesse à faire ce qu’il faisait durant la deuxième guerre mondiale, non plus résister à l’envahisseur, mais à la “dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie”.
  2. Deux visions de l’histoire : il parle de sa vision de la résistance et encourage à “s’engager au nom de sa responsabilité de personne humaine”.
  3. L’indifférence : la pire des attitudes : il dénonce l’écart qui s’accroit entre les pauvres et les riches, les droits de l’homme, l’état de la planète, nous parle de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, et encourage les jeunes à regarder autour de soi pour trouver tous les motifs d’indignation.
  4. Mon indignation à propos de la Palestine : il raconte sa visite de la bande de Gaza, s’indigne de l’oppression imposée par Israël, explique que si le terrorisme est inacceptable, il comprend la réaction violente de la population.
  5. La non-violence, le chemin que nous devons apprendre à suivre : il encourage la non-violence, la conciliation, l’espoir, pour arriver à un monde meilleur.
  6. Pour une insurrection pacifique : il constate que, certes des progrès ont été faits depuis la deuxième guerre, mais il en appelle toujours à “une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous.”.

La légitimité de Stéphane

Les paroles portent car dites par un homme ayant fait la résistance, puis ayant participé aux Déclarations des Droits de l’Homme en 1948 : dans son ouvrage, il ne manque pas d’y faire allusion, et cela le positionne comme un homme à respecter, comme un sage, un humaniste qu’il faut écouter.

Il rappelle que la majorité des droits sociaux se sont mis en place après la guerre, par des gens comme lui : et aujourd’hui, ce pourquoi il s’est battu est en train d’être détricoté par le libéralisme à outrance.

Et il a des origines juives, ce qui lui donnerait le droit de porter un jugement critique sur l’État d’Israël. Voilà un point qui suscite débat…

"Indignez-vous" et "Ce vieil homme m'indigne"
Quand on s’indigne de l’indignation de l’autre…

Le vieil homme m’indigne

Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Gilles-William Goldnadel, avocat, président d’Avocats sans frontières…

Il démystifie notre ami Hessel : il n’a pas participé à la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme, il n’y était que comme témoin. Or, c’est un des faits qui a donné toute la valeur morale à Hessel. S’il a trafiqué l’histoire sur ce point, qu’en est-il du reste ?…

Eh bien les origines juives d’Hessel semblent très éloignées. Or, de nouveau, celles-ci lui donnent une légitimité pour critiquer Israël.

Et ça, ça ne plait vraiment pas à Goldnadel… qui est juif, et ardent défenseur d’Israël. Le ton s’en ressent, et ces quelque 60 pages auraient pu être réduites à un tiers si le langage utilisé tournait moins la tête : “La chose est habituelle, pour ne pas écrire naturelle. Mais ici la construction relève d’une mythologie à laquelle ont participé par l’action – ou l’inaction – les encenseurs, les idiots utiles ou inutiles, les compagnons de route idéologiques et une bonne partie de ceux qui se flattent du devoir d’informer sans faux-semblants une opinion qui a, paraît-il, le droit de l’être” (exemple pris au hasard, page 22 !).

Notre avocat va chercher les plus infimes contradictions, et trouve injustifié le succès d’un ouvrage fondé sur si peu de d’éléments. « C’est la première fois dans l’histoire qu’un document écrit contient aussi peu d’idées et rencontre autant de succès ». Voilà donc « le ratio le plus irrationnel de l’histoire ».

Aucun indigné ne me convainc

Mobilou brandit le livre "Indignez-vous" de Stephane Hessel
Mobilou brandit le petit livre jaune de Stephane Hessel

Je dois reconnaître que j’ai enchaîné ses deux ouvrages par curiosité intellectuelle !

Le premier je l’ai lu parce qu’il est une référence dans la contestation actuelle. Sans surprise, il ne m’a rien appris. Mais il va parfaitement dans le sens du poil pour n’importe qui se plaignant que le monde va mal.

Le deuxième, j’avais une chance sur deux de le lire. Je m’explique : dans les réponses à Stéphane Hessel existe aussi “J’y crois pas”, et j’ai acheté le premier que j’ai trouvé en librairie. Mais je dois dire que si je m’étais renseigné, au préalable, sur le parcours de l’auteur de “Ce vieil homme m’indigne” (“Comment, Goldnadel, vous êtes juif ?” ) j’aurais évité cette lecture. Non pas que je mette en doute ses dires ni ne respecte son point de vue, mais son irritation lui enlève tout objectivité et révèle une prose fatigante.

Et quand Goldnadel reproche à Hessel de ne s’indigner que des Gazaouis, et pas des Tamouls massacrés au Sri Lanka, ni du génocide Arménien, ni du sort des Kurdes, ni du conflit Somalien, n’est-ce pas simplement parce que l’auteur n’a pas été dans ces pays ? Et qu’il ne veut parler que de ce qu’il a vu de ses propres yeux ?

Écrit avec les tripes

Hessel a parlé avec ses tripes, pensant certainement que son livre resterait marginal. Mais le succès est arrivé, et avec lui un feu de critiques, en proportion…

Qu’importe ! Le discours est clair et en phase avec les gens qui ne sont plus d’accord avec le système : il est parfait pour le brandir au-dessus de sa tête et descendre dans la rue…

 

“Indignez-vous” par Stéphane Hessel, 32 pages, Indigène éditions.

“Le vieil homme m’indigne !” par Gilles-William Goldnadel, 60 pages, éditions Jean-Claude Gawsewitch.

"Indignez-vous !" de Stéphane Hessel

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Mobilou écrasé par les accusations de Nicolino

Qui a tué l’écologie ?

Voilà un livre que j’avais à l’œil depuis un certain temps, mais son titre ne me plaisant vraiment pas, j’ai mis longtemps à me décider à le lire !

Qui a tué l’écologie ? A lire la couverture : Greenpeace, WWF, Nicolas Hulot, entre autres. Soit 3 acteurs de la cause que je respecte et salue pour leurs actions…

Un journaliste sans concession

Fabrice Nicolino, à qui on doit ce pamphlet, est journaliste (Géo, Charlie Hebdo, Le Canard Enchaîné…), romancier, et auteur de quelques publications comme “Pesticides, révélations sur un scandale français” ou “La faim, la bagnole, le blé et nous”. Ces deux titres résument parfaitement le domaine de Nicolino : celui de dénoncer des pratiques destructrices de notre environnement, mais aussi de critiquer nos habitudes, et de juger sans concession des attitudes faussement écologiques.

Né en 1955, notre journaliste semble avoir vécu le début de l’écologie avec enthousiasme, côtoyé de près certains acteurs du mouvement, mais aujourd’hui que l’écologie s’est institutionnalisée, voire professionnalisée, il est amère et critique.

Mobilou écrasé par les accusations de Nicolino
Mobilou écrasé par les accusations de Nicolino

Le Grenelle, la grosse farce

Souvenez-vous, c’était le 25 octobre 2007 : Nicolas Sarkozy prononçait son discours à l’issue du Grenelle de l’Environnement. Un chef d’État nous parlant d’une révolution écologique et des mesures prises pour y arriver : j’en avais l’arme à l’œil ! Le “new deal écologique” était lancé et la France allait montrer l’exemple…

Hélas, j’étais aussi naïf que Nicolas Hulot ainsi que des milliers d’autres activistes ou sympathisants : le Grenelle n’a accouché que de “propositions” qui deviendront un projet de loi “Grenelle 1”, qui n’est qu’un “habillage peinturluré d’une société qui ne veut évidemment pas changer d’un iota” (p. 204). Car à force de pression et de lobbying (eh oui, on en parle à nouveau !), tout ce qui est sorti du Grenelle a été revu à la baisse : la fondation Nicolas Hulot a donc claqué la porte, et les écologistes ont repris le combat en ayant l’impression d’avoir été roulé dans la farine !

Mais Nicolino est encore plus sévère : pour lui le Grenelle était déjà une grosse farce, mise en scène pour faire croire à une “droite écologique”, un greenwashing du gouvernement Sarkozy. La plupart des participants n’avaient aucune légitimité pour participer à ces tables rondes : politiques sans fibre écologique, ONG trop consensuelles, industries aux intérêts contraires à l’environnement…

Des portraits peu glorieux

Prenant le Grenelle comme point culminant de l’aveuglement écologique, Nicolino nous retrace l’histoire des gens et ONG qui s’y sont rencontrés, et c’est tout l’objet de son livre. Je résume en quelques points les 300 pages du travail d’investigation de Nicolino : Greenpeace a perdu son authenticité et ne s’approprie certaines causes que quand elles deviennent populaires ; le WWF a eu des dirigeants au passé douteux, et copine avec l’industrie des agro-carburants ; la Fondation Nicolas Hulot a à sa tête un grand naïf, tombé sous le charme des politiques, et la direction n’est pas composée des bonnes personnes ; France Nature Environnement est au service de l’État français.

On a aussi droit au parcours d’une brochette de politiques français, qui se trouvent une fibre écologique de circonstance, mais qui, après le Grenelle, passeront vite à d’autres affaires…

Au passage, Yann Arthus Bertrand et ses reportages conciliants sont égratignés, et toute une série d’auteurs passent à la trappe de la littérature inutile voire toxique.

Le livre qui tue l’écologie

On l’aura compris, Fabrice Nicolino est un combattant, un dur, intransigeant : le passé des héros doit être irréprochable, aucun financement ne peut venir d’une industrie non éthique, aucune discussion n’est tolérée avec l’ennemi. Il ne veut pas d’avancées par petits pas, il demande la révolution.

Son discours, qu’il poursuit dans son blog très instructif et fouillé, divise le milieu écologique, évidemment. Car les grosses ONG sont plus dans la méthode douce que dans la confrontation, et, en effet, elles organisent des tables rondes avec les destructeurs de notre planète, essayant ainsi de réduire les dégâts… Hélas, foudroyant ainsi ces grandes associations, leurs sympathisants, volontaires et activistes de terrain se sentent injuriés par les propos de notre journaliste.

Une question de point de vue

Je comprends le point de vue de Nicolino : il était dans l’écologie avant que cela ne devienne une mode, une étiquette utilisée pour tout et n’importe quoi, un mouvement auquel n’importe quel bobo croit appartenir parce qu’il utilise des ampoules économiques…

Tiens, un bobo avec une ampoule économique : mais c’est moi !

D’où ma réflexion :

1) Sans le financement par les industries, les émissions de Nicolas Hulot et Y.A. Bertrand n’auraient pas existé, et moi, citadin qui ne voit comme nature que mon jardin et les champs de l’autre côté du ring, je n’aurais pas eu un neurone préoccupé par notre planète – du moins, pas si vite. Alors, la non existence de ceux-ci aurait-elle servi la cause environnementale ?…

2) Les grosses ONG devraient-elles disparaître parce qu’elles sont devenues des sociétés cherchant profit, dirigées par des managers sans fibre écologique, et qui parfois ont des écarts de conduite ? Mon sentiment est que leur pouvoir d’information, leurs moyens, leur taille et les milliers d’activistes constituent un bon contre-pouvoir…

La critique est permise

Néanmoins, ce livre a le mérite d’exister : je ne dirais pas, comme certains critiques, que c’est une honte parce qu’il injurie et démotive les troupes, au moment où les questions environnementales ont besoin de combattants. Ce n’est pas un argument pour rejeter l’esprit critique. En ce qui me concerne, ce document a noirci le tableau – mais je suis un grand naïf donc c’était prévisible !

Le travail de Nicolino est fouillé et sans compromis : c’est un livre qui fait mal, à rebrousse-poils, qui aiguise l’esprit critique. Le juger sans le lire n’est pas permis. A bon entendeur…

Fabrice Nicolino répond aux deux questions suivantes : 1) Faut-il supprimer les ONG environnementales ? et 2) Ce livre vous a fâché avec du monde ?

“Qui a tué l’écologie ?” par Fabrice Nicolino, 307 pages, édition Point.

Les grandes ONG comme Greenpeace et le WWF...

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Lloyd Blankfein et le livre de Pascal Canfin

Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire

Un député combatif

Alors que nous traversons une période où il n’y a pas un jour sans que la “dette” apparaisse dans l’actualité, voici un petit livre qui vient à point. Nous le devons à un auteur bien placé pour parler de ce que disent les banques, et pourquoi il faut faire la part des choses : Pascal Canfin, député européen, membre des commissions Affaires économiques et monétaires.

Pour notre député, la politique doit reprendre la main sur la finance : c’est son combat, sa vocation… sa croisade ! Car en plus de proposer des lois pour changer le système, il a initié la création de Finance Watch, ONG ayant pour but de donner un contre-pouvoir aux opérateurs financiers. Enfin, avec ce petit livre, monsieur Canfin s’adresse au grand public : on aimerait voir plus de députés européens aussi combatifs !

Le petit livre qu’il faut croire

Dans L’industrie du mensonge je vous parlais du lobbying : ici on est au cœur de la tourmente ! Car notre député, avec ses propositions de loi, subit la campagne de désinformation de la part du monde financier, celui-ci brandissant la menace sur l’économie et de la délocalisation si on change les règles. Or, ces menaces, ces arguments, ces analyses ne tiennent pas la route : monsieur Canfin, entouré des spécialistes qui se sont ralliés à sa cause (parfois repentis de la haute finance), démystifie toutes ces informations… toxiques !

D’abord, il donne sa réponse aux bonnes paroles du monde financier, français en particulier (“La crise financière, c’est pas nous”, “Les banques françaises ne spéculent pas sur les dettes des États”, “Les banques françaises n’ont rien coûté aux contribuables”, etc).

Suivent la dénonciation de quelques pratiques, comme le trading haute fréquence (acheter et vendre sur quelques secondes, sous le contrôle de programmes informatiques), et les spéculations sur les CDS (produit servant à s’assurer contre la faillite d’une entreprise ou d’un État).

Ensuite il démonte les arguments opposés à l’idée d’un contrôle de la finance (“Fixer des contraintes trop fortes aux banques pénalise l’économie, et donc l’emploi”, “Si vous régulez trop, on partira s’installer ailleurs”, “Les marchés financiers et leurs innovations facilitent le financement et l’économie”, “Les produits complexes sont utiles à l’économie car ils permettent de limiter les risques”, “Une taxe sur les transactions financières est mauvaise pour le fonctionnement des marchés”, etc).

Lloyd Blankfein et le livre de Pascal Canfin
Lloyd Blankfein (banque Goldman Sachs) ne veut pas voir le livre de Pascal Canfin

Les 10 travaux, euh, réformes, de Pascal Ranfin

Après toutes ces explications sur un monde peu reluisant (autant dire qu’on a plutôt envie de vider son compte, car c’est bien avec notre argent que les banques jouent !), Pascal Ranfin énumère les 10 réformes qu’il veut mettre en place :

  1. conditionner l’octroi de la licence bancaire et le soutien de la Banque centrale (seules les banques répondant à certaines conditions éthiques auraient une licence) ;
  2. réduire la taille des banques et augmenter leurs fonds propres (séparer la partie banque d’affaire de celle du détail – nos épargnes – et augmenter leur “matelas d’argent” pour les rendre moins vulnérables) ;
  3. donner au régulateur européen le pouvoir d’interdire aux banques de verser dividendes et bonus (pratique maintenue par des banques sous-capitalisées) ;
  4. interdire les produits financiers toxiques ;
  5. soumettre les produits financiers à autorisation préalable de mise sur le marché (halte à toutes ces monstruosités mises sur le marché par la vague de libération de la finance) ;
  6. rompre avec le court-termisme des marchés financiers (ça n’apporte rien à l’économie) ;
  7. lutter contre les paradis fiscaux ;
  8. marginaliser les agences de notation ;
  9. mettre fin aux conflits d’intérêt (trop de politiques ayant un pied dans la haute finance et vice-versa ; les banques clientes des agences de notation ; etc.) ;
  10. taxer les produits indus de la finance (stop au profit maximum et immédiat, une des causes de la crise).

Des États à différentes vitesses

Ce qui m’a étonné, c’est de savoir que chaque État avait ses préférences et ses réticences parmi ces mesures. Ainsi la France et l’Allemagne n’ont pas les mêmes avis !

Autre surprise : les États-Unis vont plus loin que l’Europe en matière de réglementation, puisque le gouvernement d’Obama a mis en place le Dodd–Frank Act, pour atteindre justement l’objectif visé par mr Canfin.

Et que disent les banques là-bas ? Si c’est comme ça on se délocalise… en Europe !

Ben voyons !

“Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire” par Pascal Canfin, éditions Les Petits Matins, 124 pages.

Plus de réglementation et de contrôle sur le monde de la finance...

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