Archives de catégorie : Lecture

Mes lectures aident à me forger une opinion, et m’inspirent certaines réflexions.

Paul lit "Homo Disparitus"

Homo Disparitus

Paul lit "Homo Disparitus" dans le train
Paul lit “Homo Disparitus” dans un train… vide

“Admettons que le pire soit arrivé et voyons ce qui reste” : le “pire”, c’est la disparition de l’homme, du jour au lendemain, genre tout le monde a été enlevé par des extra-terrestres (oui, encore eux !). Voilà le postulat de départ du livre d’Alan Weisman : un événement hautement improbable (dans le sens : disparition instantanée de l’homme uniquement), mais instructif sur ce que nous laissons en héritage à la terre…

Pour l’écrire, Weisman a rencontré des scientifiques de tous bords, des gens de terrain, et visité des lieux témoins de notre passé, ou inquiétants pour l’avenir : son analyse dépasse l’imagination et ne se résume pas à l’image d’une ville en décrépitude, symbolisée par Tchernobyl.

Car le plus inquiétant, ce sont toutes ces machineries mises en place pour maintenir notre monde artificiel sous contrôle.

Que les installations de pompage de New York tombent en panne, et c’est 50 millions de litres d’eau qui se déversent par jour dans le métro : en 20 ans, les rues s’affaissent et les rivières se forment entre les buildings. Voilà un exemple de scénario décrit par l’auteur, imaginé avec les acteurs de terrain. Mais cela n’est rien : la nature s’en accommodera.

Par contre, les espèces vivantes n’apprécieront pas les raffineries de pétrole ! Une machine qui se grippe, un ordinateur qui tombe en panne, et elles ont toutes les chances de flamber… jusqu’à épuisement des réserves.

En plus de notre pétrole flamboyant, s’ajouteront nos centrales nucléaires qui fondront ou exploseront, emportant haut la main la course à la toxicité, devant nos plastiques se désagrégeant en particules de plus en plus petites – histoire que toute la chaîne alimentaire en profite !

A part cela, la nature reprendrait ses droits et “digérerait” la plupart de nos traces. Un nouvel ordre animal et végétal se mettrait en place, et les dernières victimes seraient nos animaux domestiques, inadaptés et subissant de plein fouet la sélection naturelle.

Et dans quelques millénaires, les seules créations qui resteraient de l’homme seraient ses sculptures de bronze… et ses briques de verres radioactifs.

L'aube de l'humanité (© 2001, l'Odyssée de l'Espace)
Dans un futur très lointain nos briques vitrifiées remonteront à la surface et donneront l’intelligence aux primates d’un coup de baguette… radioactive !

Entre fiction et travail journalistique, le livre de Weisman se lit avec plaisir. C’est un voyage dans le futur mais aussi dans le passé, avec l’histoire de l’homme et de la faune mondiale. C’est aussi une masse de rencontres, la visite de lieux abandonnés comme Varosha à Chypre, d’endroits insolites comme la zone démilitarisée coréenne, d’installations gigantesques comme la raffinerie de Texas City.

C’est, hélas, aussi un constat peu reluisant de notre impact planétaire… Dans nos hauts faits d’arme, on notera le massacre des pigeons migrateurs, probablement l’oiseau le plus répandu sur terre. Le dernier représentant mourut dans un zoo en 1914…

… La symbolique est forte, et je vous laisse y réfléchir.

“Homo Disparitus” de Alain Weisman, éditions J’ai Lu, 398 pages.

L'auteur insiste sur la faune décimée depuis que l'homme a su fabriquer des armes

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La tyrannie des logos

Mobilou No Logo
Mobilou cache sa marque sur le front

Le premier livre qui a cristallisé mon intérêt pour nos problèmes de société est “No Logo”, de Naomi Klein. Gros livre de presque 700 pages (en enlevant les 50 dernières pages de notes et annexes), voilà un pavé que je m’étais fait offrir à la Noël 2010 : cadeau symbolique pour une fête de grande consommation, le point de départ de mes nouvelles résolutions pour les années à venir…

Sous-titré “La tyrannie des marques”, ce livre a fait grand bruit lors de sa parution (en 2000) car il donnait un éclairage nouveau sur les grandes “marques” et leur stratégie agressive. C’est que Naomi Klein a fait un vrai travail de terrain, parcouru les pays où un nouvel esclavagisme s’est mis en place pour fabriquer les articles de marque que nous affectionnons.

L’ouvrage se divise en 4 parties dont les titres résument la situation : Zéro Espace (produire une marque et non une marchandise : l’espace est occupé par le marketing agressif), Zéro Choix (nos habitudes de consommations sont dictées par les marques, et elles s’imposent dans tous les pays), Zéro Boulot (une marque est grande par son image mais petite en terme d’emplois : elle ne gère que la conception d’un produit, et pas sa fabrication, sous-traitée à des usines délocalisées), Zéro Logo (la résistance se met en place).

Autant vous dire qu’après avoir lu ce livre, vous n’avez plus envie de porter des vêtements affichant ostensiblement un swoosh ou 3 barres obliques. Le terme de “sweatshop” (commerce de la sueur) prend tout son sens, et encourage à s’habiller “éthique”  – chose très difficile quand on veut rester dans l’air du temps, je vous l’accorde (voyez mon constat chez Amercian Apparel) !

Je ne vais pas développer toutes les idées du livre (au hasard : les chaînes de restauration, la main-mise sur la presse, l’utilisation des stars, le modèle Wal-Mart, l’infiltration dans l’enseignement…), car depuis lors la face cachée de nos marques a fait l’objet de nombreux reportages et articles de presse – ce qui donne, à mon sens, moins d’intérêt à cette lecture. Si par contre vous voulez aborder tous les aspects, euh pardon, méfaits, de notre mondialisation, vous aurez de quoi vous mettre sous la dent…

Mais je terminerai par quelque chose que Naomi Klein ne pouvait nous montrer quand elle a écrit son livre : une vue aérienne de Cavite, aux Philippines, qu’elle visita non sans problèmes. Si vous faites une recherche “images” sur internet à propos de cet endroit, vous aurez l’impression d’être dans un village de vacances. Et pourtant, c’est avant tout une immense zone de manufactures protégée comme une forteresse : après avoir franchi sa clôture, les milliers de travailleurs débarquent dans une zone de non-droit, en dehors de la juridiction du pays, condamnés à travailler dans des conditions d’un autre âge. La vie de ces gens est un vrai désastre, et contredit le fait que “nos multinationales apportent le bien en faisant travailler les gens du sud” – je vais être prudent : en tout cas, pas à Cavite !

Et je conclus : si les “marques” ne cherchaient pas le profit à tout va, nous ne verrions pas sur terre ce retour à l’esclavagisme.


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“No Logo” par Naomi Klein (743 pages), éditions Actes Sud.

La plupart des "marques" engendrent une exploitation inhumaine des travailleurs "du sud" (plusieurs réactions possibles)

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Livre "Le Cygne Noir" de Taleb

Le Cygne Noir : nous vivons en Extrêmistan

Livre "Le Cygne Noir" de Taleb
Un livre plein d’enseignements

Un Cygne Noir est un événement inattendu et surprenant qui détruit vos convictions, met à terre vos plans, change vos théories…

Et Nassim Nicholas Taleb en développe le sujet sur presque 500 pages écrites en tout petit : un ouvrage dense entre science et philosophie, qui a séduit plus de 2 millions et demi de lecteurs dans le monde.

C’est que ce genre de lecture peut changer votre façon de voir les choses. Et en ce qui me concerne il y a un “avant” et un “après cygne noir” – même si ça n’a pas changé radicalement ma vie… Car mr Taleb, qui enseigne les sciences de l’incertitude, analyse en profondeur notre manière de penser, notre volonté de vouloir prédire l’avenir (le propre de l’homme), nos sciences se fondant sur l’expérience, notre perception fondée sur notre vécu, et le fait que nous continuons à diriger nos vies en minimisant l’importance des événements inattendus.

L’idée centrale de ce livre concerne notre cécité face au hasard, et spécialement aux événements qui se démarquent particulièrement de nos attentes” (p.11).

L’auteur en a surtout après les sciences qui développent des théories sur base des cas normaux, minimisant les incertitudes, pour faire entrer les probabilités dans une belle courbe en cloche (courbe de Gauss) : ils les appellent les GEI (Grande Escroquerie Intellectuelle, p.19). En première ligne, les économistes !

Or il y a deux groupes d’événements dictant les modèles mathématiques, pour lesquels l’auteur imagine deux pays : le Médiocristan et l’Extrêmistan.

En Médiocristan c’est le règne de la normalité, de la courbe de Gauss : les événements extrêmes n’ont pas de conséquences sur la masse. Prenons 100 personnes et calculons-en la taille moyenne : le chiffre que nous obtenons déviera peu si nous réitérons l’expérience sur d’autres groupes de 100 personnes, même si parfois nous aurons quelques nains ou géants dans notre échantillon… Nous ne risquons pas d’avoir des moyennes de 3 mètres ou 3 centimètres, et nous pourrons en tirer des conclusions valables.

En Extrêmistan, la courbe de Gauss ne marche plus, car une seule donnée, extrême, peut réduire les autres à l’état d’insignifiance, et faire tomber les théories que nous élaborions avant de rencontrer cette anomalie. Poursuivons donc notre expérience avec nos échantillons de gens pris au hasard et établissons le salaire moyen : déjà là, les écarts vont bien varier d’un groupe à l’autre. Mais ok, à force de répéter l’expérience nous trouverons une moyenne… Jusqu’à ce que nous arrivions à un groupe où, pas de chance, se trouve Bill Gates ! Et voilà la moyenne des salaires qui monte en flèche, dans des proportions tellement énormes que les autres ne servent qu’à nous donner des erreurs d’arrondi ! Nous sommes tombés sur un cygne noir : jusqu’à ce qu’il arrive, nous étions persuadés qu’un salaire moyen était X, et que Y en était à peu près le maximum.

Voilà, bienvenue en Extrêmistan, un pays plus vaste que vous ne croyez : celui où un attentat peut mettre en crise la planète, où une simple idée peut vous rendre milliardaire, où la dinde est persuadée d’être nourrie par un bienfaiteur, où un tremblement de terre met en péril l’avenir du nucléaire. Et surtout où les phénomènes sociaux sont imprévisibles : un marchand s’immole par le feu et c’est l’Afrique du nord qui s’enflamme ! Autant d’événements qu’aucun économiste ne peut prédire, et pourtant ce sont ces événements qui font notre histoire. Autant dire que les spécialistes de tout poil, en particulier ceux qui donnent des conseils pour l’avenir, sont sévèrement jugés par Nassim Taleb.

Le hasard est ce que je ne peux pas deviner parce que ma connaissance des causes est incomplète, pas nécessairement parce que les propriétés du processus sont vraiment imprédictibles.” (p.391). Ici, le hasard n’est pas d’un dé qui roule pour ne sortir que des chiffres entre 1 et 6 !

Dans cet article je n’expose qu’une des nombreuses idées de mr Taleb, qui nous dit de ne pas écouter les spécialistes tirant des plans sur notre futur. A titre personnel j’en tire une leçon : mon blog portant justement sur les domaines les moins prédictibles de nos connaissances, le Cygne Noir me guette. Si je peux me faire une opinion, je ne dois pas m’enfermer dans des convictions, et garder la porte ouverte à un facteur chance, accepter que mes connaissances ne me permettent pas d’imaginer l’improbable…

Si votre esprit est encore embrumé par tout ce que je viens de raconter, je ne manquerai pas de faire référence aux préceptes de Mr Taleb dans mes futurs articles. Et qui sait, peut-être que l’un d’eux expliquera l’histoire de la dinde…

“Le cygne noir”, éditions Les Belles Lettres, 479 pages.

Invasion of the saucer-men edited
Quand nous serons 10 milliards, les extra-terrestres viendront nous “récolter”. Et aucun économiste ne l’aura prévu !

Pour Nassim Thaleb, un économiste est plus proche d'un charlatan que d'un scientifique

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