Pourquoi la religion existe-t-elle ? Pourquoi existe-t-elle encore dans cette société hautement technologique, où l’homme comprend et domine de plus en plus son environnement ? Ce livre apporte une réponse, en expliquant la mécanique de notre cerveau.
Non cartésien
Quand j’étais petit, je ne comprenais pas pourquoi les religions existaient, et pourquoi d’aucuns croyaient en un dieu. Cela me paraissait non cartésien, non justifié, non nécessaire.
Et puis en grandissant, j’avais compris : la religion existe pour expliquer l’inexplicable, pour réconforter, pour établir un ordre moral, pour créer des communautés. Et elle se transmet par notre environnement social, ce qui explique mon athéisme, vu l’absence de cadre religieux durant mon enfance.
Mais ces explications étaient-elles satisfaisantes ?
Comment se fait-il que la religion a vu le jour parmi toutes les peuplades du monde, en tous lieux, depuis des milliers d’années ? D’où vient cette émergence spontanée de la religion ?
Nourriture informative
L’auteur de ce livre, Pascal Boyer, anthropologue, nous explique d’abord que l’évolution de notre cerveau nous amène aujourd’hui à certains modes de pensées dont nous ne sommes pas conscients. Cela concerne par exemple notre faculté de vivre en société : “[…] l’évolution ne crée pas de comportements spécifiques, elle crée une organisation mentale qui incite les individus à se comporter de façon spécifique.” (p. 337)
Et ce cerveau évolué nous distingue des autres êtres vivants par un rapport différent à son environnement : l’environnement de l’homme, c’est l’information. Et justement : “Chaque information est de la nourriture pour la mécanique mentale. Mais ensuite seules certaines informations produisent les effets que nous désignons sous le terme de “croyance” : on les remémore et on les utilise pour expliquer ou interpréter des événements particuliers ; elles peuvent déclencher certaines émotions ; elles peuvent influer fortement sur notre comportement.” (p. 48)
Pour comprendre l’origine des religions, il faut donc inverser le raisonnement : “Les concepts religieux […] mobilisent les ressources de systèmes mentaux qui seraient là, religion ou pas. C’est pourquoi la religion est une choses probable.” (p. 468)
Et à l’opposé, nous avons l’activité scientifique, aussi anti-naturelle pour l’esprit humain que la religion lui est naturelle. L’esprit scientifique est en fait très improbable ! “Cela explique pourquoi elle [l’activité scientifique] ne s’est développée que dans un nombre limité de pays, chez un nombre limité de gens, pendant une infime partie de l’histoire humaine.” (p. 469)
Mercredi, jour saint
Très bien. Mais comment en arrive-t-on à des religions qui ont bien souvent les mêmes thèmes, comme l’existence d’un ou plusieurs êtres supérieurs omniscients, ou la délivrance de l’âme après la mort ?
Démonstration…
Voici ma religion : il n’existe qu’un dieu ! Il est tout-puissant. Mais il n’existe que le mercredi.
La plupart d’entre vous trouveront cette religion vraiment étrange. Et elle a peu de chance de se propager. Car vous aurez buté sur l’idée du mercredi. Mais pas sur celle de l’existence d’un dieu…
Cet exemple démontre comment des idées sont plus facilement acceptées que d’autres. Sans recourir à un long raisonnement, vous avez accepté une idée, et pas l’autre. Ce mécanisme mental, on peut l’appeler intuition.
Dès lors, les idées qui ont jalonné notre histoire ont, elles aussi, évolué, faisant l’objet d’une sorte de sélection naturelle imposée par la machine à penser de l’homme. D’une multitude de croyances “surnaturelles”, seules les plus séduisantes à nos schémas mentaux ont survécu et font l’objet des grandes religions d’aujourd’hui.
Croire en ce livre
Au bout de presque 500 pages, je referme le livre de Boyer après avoir été guidé sur les chemins de la psychologie, de l’anthropologie et de la sociologie. Des domaines avec lesquels je ne suis pas familier, ce qui m’a fait hésiter d’en parler.
Mais c’est un livre marquant, il y a un avant et un après : une expérience déjà vécue avec “Le cygne noir” de Thaleb – deux livres à la démarche comparable. Alors il mérite bien un coup de projecteur.
Et puis le sujet est bien en rapport avec ce qui me préoccupe : si notre monde n’est pas parfait, n’est-ce (aussi) par parce notre perception des choses est imparfaite, faussée ? Attention, je pointe du doigt notre cerveau, et non la religion.
À propos de laquelle je laisse conclure l’auteur : “Cela peut paraître frustrant que la religion telle que je la définis ici ne serait qu’un effet secondaire de notre cerveau, ce qui manque apparemment de grandeur. Or la religion a de la grandeur, elle est essentielle pour la vie de beaucoup de gens, elle implique des expériences émotionnelles intenses, elle peut pousser des individus à tuer ou se sacrifier.”
“Et l’homme créa les dieux”, Pascal Boyer, 526 pages, Folio Essai
Merci vraiment!