Mare des Made in China, India, Indonesia ? Vous voulez des produits fabriqués chez nous ? Eh bien ce n’est pas prêt de changer, et un livre nous explique pourquoi…
Un nouvel équilibre du monde
Je croyais avoir tout vu, lu, entendu, et pourtant, le livre de Laurence Benhamau, journaliste économique à l’AFP, m’a donné un point de vue disons, plus pragmatique, et moins émotif, sur la question. Son livre porte bien son nom : c’est bien un “Grand bazar mondial” qui est en place, une grosse machinerie économique qui permet de consommer plus chez nous… et de donner du travail aux pays émergents, asiatiques principalement.
“Donner du travail” : j’en vois déjà qui ricanent… Certes, ce n’est pas avec un salaire de 0,2 dollar l’heure que l’on va sortir les bangladais de leur misère. Mais ne comptez pas sur ce livre pour une enquête sociale sur les petites mains qui ont fabriqué vos chaussures : pour cela, lisez plutôt “No logo” de Noemi Klein.
Ici, nous restons chez nous, et nous analysons pourquoi cela fonctionne ainsi, sur base d’informations de première main : le livre émane d’une série d’entretiens réalisés en 2004 et 2005 avec des acheteurs du secteur de la grande consommation.
Une chevauchée fantastique
Vous allez chez Tchin-Tchin acheter vos lunettes, car la deuxième paire est à 1 euro ! La belle affaire, profitons-en ! Et voilà ! Le mal est fait : vous avez contribué à cette belle mécanique de mondialisation. Car si Alain Afflelou peut vous faire une telle offre, c’est qu’il a su diviser par deux le coût de fabrication de ses lunettes, en confiant l’assemblage à des usines asiatiques, chinoises principalement. “Tchin-Tchin” : c’est pas faute de vous avoir prévenu !
Et en plus, ce cher Alain a réussi un deuxième tour : présenter les lunettes comme un objet de grande consommation. Dorénavant, vos lunettes, vous les changerez comme on change de veste, au gré des modes…
Alos, scandaleux, les délocalisations ? Mais nous sommes des victimes consentantes ! Consommer plus, et moins cher : “C’est la mission que nous, consommateurs, leur [les acheteurs de chaînes et marques] avons confié sans le formuler, mais en nous exprimant de façon éloquente par le biais de nos achats.” (p. 128).
Et ces acheteurs ont à cœur de trouver les endroits les plus reculés pour trouver les salaires les plus bas, car c’est dans ce domaine que l’on réussit encore à faire des profits : “C’est une chevauchée fantastique […] Tous les jours on découvre de nouveaux pays d’approvisionnement, l’histoire ne se terminera jamais.” (propos du patron des achats pour La Redoute, p. 105)
Ils sourcent
Pensez-donc : avec un salaire de 0,6 dollar de l’heure en Chine, contre 10 dollars en France (20,7 au Japon !), le coût de production avance d’une virgule décimale !
Des lunettes, des chaussettes, des foreuses, des parfums, des skis, des éponges, des meubles, des nains de jardin ou des choux de Bruxelles (du Guatemala !) : on ne fabrique plus, on “source”…
Eh oui, voilà le terme qui fait passer la pilule ! Voyez ce responsable de l’offre alimentaire chez Intermarché, interpellé dans “Les récoltes de la honte” (reportage “Cash Investigation”), à 38 minutes 43 secondes : “Quand les sourcings sont à l’étranger…” . Ça passe mieux que importation, n’est-ce pas ? (notez ce “à l’étranger”, comme s’il existait du “sourcing” sur le territoire !)
Et si vous achetez un produit bien de chez nous, c’est pas gagné : si la “marque” sous-traite avec des fournisseurs dans le pays, cela n’empêchent pas ces derniers de “sourcer”.
La spirale descendante
Peut-on lutter contre cette économie ? Peut-on inverser la tendance, et revoir nos usines ?
“Il n’y aura pas marche arrière” : voilà la sentence, dite par un importateur. Car la fabrication des produits est devenue la spécialité des pays émergents : “ils [les acheteurs] estiment tous que les usines chinoises fabriquent mieux que les usines françaises, grâce à des machines plus récentes et des contrôles plus poussés, dictés par la méfiance qui entoure encore leurs produits.” (p. 187)
Qui plus est, nous sommes pris dans une spirale vers le bas : la délocalisation génère des pertes d’emplois, donc une baisse de pouvoir d’achat, donc la nécessité de vendre moins cher. Mais en même temps vendre toujours plus, pour maintenir les marges bénéficiaires !
On ne va pas droit dans le mur, là ?
Acheteur et citoyen ?
On parle de relancer la croissance en incitant à consommer. Mais “à quoi bon relancer la consommation si elle porte sur des produits importés ?” (p. 193). Quant au départ des industries et main-d’œuvre, nous n’en sommes qu’au début : “Préparons-nous au pire” !
Alors, comment sortir de cette “économie de bazar” ?
L’auteure n’apporte pas vraiment de réponse, mais suggère que l’Europe se donne les moyens d’une nouvelle économie, basée sur la création, l’imagination, le design, l’innovation… le luxe !
Des lois, des règlements et des labels de qualité pourraient aussi privilégier nos entreprises.
Et du reste, il ne tient qu’à vous de consommer plus éthique, et de contredire l’auteure, page 176 : “Le consommateur n’est pas en même temps citoyen.”
“Le grand bazar mondial” par Laurence Benhamou, J’ai lu, 220 pages