Non, construire des prisons pour enrayer la délinquance, c’est comme construire des cimetières pour enrayer l’épidémie. Voilà pour le titre de ce livre : peut-il nous en convaincre ?
Hors de vue
Rolland Hénault enseigne le français dans les prisons de l’hexagone, depuis une vingtaine d’années. Les prisons, il le vit de l’intérieur, il côtoie ce monde aliéné, et il tient à exprimer son dégout d’un système qui n’a rien trouvé de mieux pour ranger les écorchés de notre société.
“J’observe […] que le public ne voit pas les prisons, comme il ne voyait pas les camps de concentration durant la seconde guerre mondiale […]. Disons, d’une façon générale, que la population d’un pays, quel qu’il soit, quelle que soit sa culture, ou quelque soit son régime politique, ne voit jamais les camps, situés pourtant en des lieux parfaitement visibles, et même spectaculaires.” (p. 18)
Bigre, il y va fort !
Mais l’auteur témoigne, constate, philosophe et verse parfois dans le pamphlet. Il l’écrit d’emblée : “Je ne dispose que d’impressions personnelles, dont le lecteur fera ce qu’il voudra (…)” .
Une sacré galerie
“Mais d’où ils sortent, ces mecs qu’on enferme ? Où les a-t-on capturés ? Sont-ils des hommes, comme mes collègues de travail, mes voisins, les membres de ma famille, les habitants du bistrot ?” (p. 30)
L’auteur nous offre une galerie de portraits – ou plutôt d’instantanés, car il ne connait de ses élèves que ce qu’ils veulent bien raconter. Ils ont fait des erreurs, oui, ils sont punis, certes, mais pour la plupart d’entre eux, la vie ne les a pas gâté.
Le Péruvien qui a tué son père, Nadine et le cahier, l’ami du professeur Choron, Nathalie qui se regarde dans le miroir, Jean-Luc le tenancier de la boîte informatique, la comtesse qui ne veut pas partir, le Suédois passe-muraille, la belle muette, le comédien : autant de titres de paragraphe qui nous éloignent des clichés cinématographiques de l’être foncièrement mauvais et haï, emprisonné avec l’étiquette “bien fait pour sa pomme” !
Et il y a Romand de l’OMS…
“Romand jette un trouble (…) sur la nature de l’être humain, et il nous force à en mesurer la profondeur et l’incroyable complexité.” (p. 111). C’est ainsi que l’auteur conclut sur cet homme qui a fait l’actualité et inspiré des films. Dans le microcosme carcéral, il voit “un homme d’un dévouement remarquable pour ses co-détenus, qui manifeste ici, en prison, des qualités humaines exceptionnelles.”
Cotés en Bourse
L’auteur constate une augmentation de détenus présentant des troubles psychiatriques, ainsi que des victimes de la précarité. Les sévices, l’humiliation et les mauvaises conditions qu’ils vivent entre ces quatre murs ne peuvent être justifiés par la punition : ils le sont déjà par la vie.
La faute à qui ? A eux ? Non : à notre société dirigée par le profit, et qui n’a que faire des laissés pour compte. Ou plutôt si : “Les détenus sont les moteurs de l’économie dans le secteur de la misère. Qu’attend-on pour les coter en Bourse ?” (p. 34)
Autre cause : la “déculturation généralisée”. La télévision abrutissante, le porno, le starsystem, la publicité, et l’enseignement défaillant, contribuent à une perte des valeurs.
“Au demeurant, une école, un lycée, c’est très facile à démolir ! Ces établissements sont en effet construits en carton-pâte ! Ce sont les constructions emblématiques de la précarité. Comparez avec le blockhaus de la Banque de France. Ça, c’est du costaud ! Vous comprenez tout de suite la valeur de l’argent par rapport à la culture !” (p. 68)
Le degré de notre civilisation
Ce livre ne fut pas facile à chroniquer ! Certains d’entre vous connaissent ma réticence à enfreindre les règles. Alors, avoir de l’empathie pour des gens coupables de faits graves, j’ai du mal.
Malgré tout, s’attaquer à la cause du mal plutôt que de le combattre est une idée défendue par la plupart des grands penseurs, voire d’associations œuvrant pour une meilleure société. Dostoïevski le disait : “Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons.”
C’est aussi un constat dans le livre “Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous” : taux d’incarcération et inégalité progressent main dans la main. Il est sous-entendu que dans les sociétés égalitaires il y a peu de prisons, et encore une fois, les pays du Nord nous montrent l’exemple.
Mais pour le citoyen abreuvé de faits divers, c’est difficile d’admettre que l’incarcération, considéré par beaucoup comme une punition, n’est pas la solution : ce livre s’adresse à eux, comme à moi.
Il apporte donc une pierre à l’édifice – et ce n’est pas celle d’une prison !
“Non, construire des prisons…” par Rolland Hénault, 207 pages, les Éditions Libertaires