Namur ne semble pas à l’écoute de ses habitants. Un site web pour pallier ce déficit démocratique serait nécessaire : ExtraPaul vient à la rescousse !
Jean, Marcel et moi
Mais comment en suis-je venu à réaliser un site pour une ville qui n’est pas la mienne ?
Les nouvelles démocraties comptent parmi mes préoccupations. Le G1000 en est l’emblème, et une expérience que j’ai vécue de l’intérieur. Pour cette raison, et aussi comme citoyen “impliqué”, j’étais invité à une table ronde organisée par les stagiaires de l’Institut Éco-Conseil, à Namur.
Pour la première fois de ma vie, je suis au centre du débat, avec deux experts dans l’implication citoyenne :
Jean Gréban, actif dans Tout Autre Chose, impliqué dans les Nuits Debouts de Namur.
Après notre débat, Marcel s’approche de moi, interpellé par mes compétences en conception de sites web : “Dis, on cherche désespérément quelqu’un pour faire le site d’un forum démocratique à Namur” .
Pas de clé sur porte
Je passe l’après-midi avec lui, rejoint par quelques membres du projet : leur demande est précise, l’équipe est volontaire, et ça me plaît.
Mais les défis sont de taille. Vous n’avez trouvé personne pour programmer ce site ? Tu m’étonnes !
En voici les principes, et je pressens qu’un système “clé sur porte” comme WordPress ne répondra pas à ces exigences :
le site récolte des propositions de projets de la part des citoyens. Exemple : reconvertir un lieu abandonné, améliorer la circulation dans un quartier, refuser l’implantation d’une surface commerciale ;
ces projets sont soumis aux votes et à l’adhésion des habitants ;
un projet populaire devient un forum. Cette décision est prise par l’équipe de Forum Citoyen Namur ;
un forum est un espace dans lequel on poste des idées autour du projet élu, et on en discute. Exemple, pour le projet de reconversion d’un lieu abandonné : il devient un parc, ou des terrains agricoles, ou un terrain de basket, etc ;
au final, le Forum Citoyen Namur formule une proposition, décide d’une action.
C’est un beau challenge d’avoir toutes ces possibilités dans un site, de manière claire et attractive. S’y ajoutent en outre la publication de news, le téléchargement d’images et de documents, l’inscription des citoyens, la modération par les administrateurs, etc.
Et bien entendu, le site doit être responsive : il s’adaptera aux téléphones mobiles et tablettes.
En combien temps allais-je le réaliser ? Dès la première réunion, je démarre mon chronomètre…
Pour une poignée d’heures, t’as plus rien
Quelque cinquante jours plus tard, le site est prêt, et le compteur s’arrête : 150,47 heures ! Soit, jusqu’à son lancement officiel, une moyenne de trois heures par jour.
Je n’expose pas mon temps pour vanter mon dévouement ou faire valoir la valeur du site. Car j’ai pris beaucoup de plaisir à le programmer. Et je salue l’équipe très active sur le terrain : pour le succès d’un projet, il faut en parler, et les organisateurs ne ménagent pas leurs efforts.
Mais en chiffrant le travail, je mesure mon engagement. Et je conscientise les gens qui me demandent un site web : sont-ils prêts à s’investir autant, comprennent-ils qu’un site est inutile sans une équipe pour l’animer et le populariser ?
Pouvons-nous être fiers de notre démocratie, et doit-on se satisfaire d’une constitution que le monde nous envie ? Eh bien non, et un livre nous explique pourquoi il est temps de passer à autre chose, et comment…
La fatigue démocratique
“La démocratie est fragile, plus fragile qu’elle ne l’a jamais été depuis la Seconde Guerre mondiale. Si nous n’y prenons garde, elle dégénérera en peu à peu en une dictature des élections.” (p. 69)
Bigre !
Se plaindre de la démocratie, dans un pays dont la constitution est un modèle du genre, pourrait paraître incongru. Et moi-même, quand j’ai rejoint le G1000, je me demandais si je ne devais pas consacrer mon temps à des causes plus… concrètes.
Mais David Van Reybrouck, lui, en a fait son cheval de bataille. Son dernier livre nous explique pourquoi il est temps de moderniser nos démocraties. Et c’est justement dans des pays comme le nôtre que le sujet doit être débattu : puisque nous sommes des modèles pour les pays s’ouvrant à la démocratie, passons à la vitesse supérieure et traçons la voie d’une gouvernance par le peuple.
Et c’est maintenant qu’il faut changer : la “fatigue démocratique” nous gagne !
Comme la tabatière
Mais qu’est-ce qui ne va pas avec notre démocratie ?
Depuis les révolutions françaises et américaines, nous avons adopté la démocratie représentative comme le seul système valable pour écouter le peuple : “Les mots élections et démocratie sont devenus synonymes pour presque tout le monde.” (p. 51) A tel point que les mots “élections honnêtes” sont mentionnés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, de 1948 : c’est devenu un passage obligé pour qu’un pays reçoive une aide financière de la communauté internationale.
Mais ce mode de fonctionnement est plus aristocratique que démocratique : “Le gouvernement représentatif a été institué avec la claire conscience que les représentants élus seraient et devaient être des citoyens distingués, socialement distincts de ceux qui les élisaient.” (Bernard Manin, 1995)
S’il fut une époque où ce modèle a fait évoluer la démocratie, aujourd’hui il ne sert plus l’intérêt général. “À une époque qui se caractérise par un malaise économique, un système médiatique déchaîné et une culture en pleine transformation, continuer de s’accrocher uniquement aux élections revient presque à enterrer délibérément la démocratie.” (p. 71)
Pensez-y : ce processus date du XVIIIè siècle et n’a jamais évolué. Il est aussi vieux que la diligence, la montgolfière et la tabatière !
Notre future démocratie a 25 siècles
Coupons court à une idée reçue : la démocratie idéale, ce n’est pas le référendum ou le sondage, où tout le monde donne son avis sur des domaines qu’il ne connait pas, ou qu’il croit connaître, faisant passer son bien-être devant celui de la communauté.
Non, la bonne idée, on la trouve à l’époque d’Aristote, qui nous disait : “Le principe fondamental du régime démocratique, c’est la liberté […] Une des marques de la liberté, c’est d’être tour à tour gouverné et gouvernant” . Dans l’Athènes antique, tout citoyen était susceptible de faire partie des trois principaux organes de la cité (Assemblée du peuple, Conseil des Cinq-Cents, Tribunal du peuple), désignés par tirage au sort, pour un mandat allant d’une journée à un an suivant le poste. La participation citoyenne était directe et des décisions étaient prises par de grandes masses de gens.
On appelle cela une démocratie délibérative (ou participative) : “[…] une forme de démocratie au sein de laquelle les délibérations collectives occupent une place centrale et les participants formulent, en se fondant sur des informations et des argumentations, des solutions rationnelles, concrètes, pour relever les défis sociaux qui se posent.” (p. 126)
Comme on l’a vu lors du G1000, cela se passe en petits groupes, avec l’intervention de modérateurs, et un thème prédéfini pour les débats.
Un autre élément déterminant est le tirage au sort. En effet, si on laisse les citoyens se présenter sur base volontaire, on réunirait des gens motivés et investis, certes, mais non représentatifs de toutes les couches de la société. Le tirage au sort permet plus de diversité et de légitimité.
L’Islande n’est pas la meilleure élève
Mais concrètement, est-ce que ça fonctionne ? Oui, plutôt bien, à voir les expériences menées dans plusieurs pays. Si celle de l’Islande est la plus connue et la plus réussie, elle n’est pas le meilleur exemple, car les 25 citoyens ayant ré-écrit la constitution ont été élus. Cinq enseignants du supérieur, quatre personnalités des médias, autant d’artistes, deux juristes et un prêtre : drôle de diversité !
Par contre l’expérience déroulée en 2004 en Colombie Britannique (province canadienne) fut plus ambitieuse : un échantillon arbitraire de 160 citoyens a travaillé durant un an sur la réforme de la loi électorale.
L’Ontario a suivi le pas en 2006, avec 103 citoyens, puis les Pays-Bas la même année, avec 140 citoyens, toujours dans le but d’une réforme du système électorale.
En fait, des expériences de démocratie délibératives, il en existe beaucoup. Et ça bouge plus qu’on ne le croit : “[…] tandis que les politiciens hésitent, que les médias se méfient et que les citoyens restent dans l’ignorance, des universitaires et des activistes foncent déjà vers de nouveaux horizons.” (p. 150)
6 organes sinon rien
Parmi ces chercheurs dont la mission consiste à “avoir raison trop tôt” (dixit notre philosophe belge Philippe Van Parijs), on trouve Terrill Bouricius, qui propose le modèle idéal de la nouvelle démocratie avec tirage au sort. Six organes sont nécessaires pour répondre le mieux possible à la légitimité et à l’efficacité :
le Conseil de définition des priorités, qui choisit les thèmes sur lesquels légiférer ;
les Panels d’intérêt, qui proposent une législation sur un des thèmes ;
les Panels d’examen, qui présentent des propositions de lois sur la base du travail de l’organe précédent et de spécialistes ;
le Jury des politiques publiques, qui vote les lois ;
le Conseil des réglementations, qui décide des règles et des procédures des travaux législatifs ;
le Conseil de surveillance, qui contrôle le processus législatif et traite les réclamations.
Ainsi, on évite la concentration de pouvoir, un corps tiré au sort surveille l’autre.
Tous ces organes sont constitués, suivant les postes, de citoyens volontaires, de citoyens tirés au sort (parmi des volontaires ou parmi la population avec participation obligatoire), salariés ou dédommagés suivant le temps de la mission, qui va de quelques jours à trois ans.
Ministre de la participation recherché
Alors, qu’en est-il chez nous d’un renouveau démocratique chez nous ?
Eh bien, bonne nouvelle, les partis politiques n’en ont jamais autant parlé ! Pour un état des lieux, je vous invite à lire le Mémorandum pour les négociateurs du gouvernement fédéral, objet de la nouvelle campagne du G1000 : “On recherche un ministre de la participation (H/F)” .
En attendant que ça bouge, nous devrons nous satisfaire des bulletins et du crayon rouge. Mais ne vous en contentez pas : “Nous devons démocratiser la démocratie“, comme le conclut David Van Reybrouck !
“Contre les élections” par David Van Reybrouck, 219 pages, Actes Sud
Quand j’étais gosse je ne comprenais pas à quoi servait la politique. Quand j’étais ado je ne comprenais pas pourquoi un homme politique devait appartenir à un parti. Aujourd’hui, j’ai finalement compris, évidemment, mais je me pose une autre question : notre système démocratique ne pourrait-il pas passer à la vitesse supérieure ?
Comme le montre Lazarus
A l’heure du numérique et de l’information, n’est-ce pas devenu archaïque de passer par des “élus”, qui ne pourront jamais suivre leurs convictions une fois en place ? Bien sûr notre système démocratique, c’est une belle avancée. Mais comme l’explique Lazarus, un parlement n’est pas représentatif de la population, et subit des pressions de la part de ceux qui en ont le plus de moyens.
Lazarus nous explique la démocratie
Et si nous regardons du côté des Etats-Unis, exemple de ce qui pourrait nous arriver bien malgré nous, on constate que le peuple est représenté pour moitié par des millionnaires ! Comment les intérêts d’une population peuvent-ils dans ces conditions être défendus ?
Je vote pour les citoyens !
Mais peut-on se passer de “professionnels” de la politique, pour laisser aux gens le soin de décider pour leur pays ? Oui, s’ils sont informés, encadrés, et s’ils dialoguent. C’est ce que démontre le G1000 qui, le 11 novembre 2011, rassemblait 704 citoyens autour de 32 tables de discussion, pour débattre des mesures les plus importantes à leurs yeux. En est-il sorti des mesures genre “On ne paie plus d’impôts” ou “La retraite à 45 ans” ? Non, leurs décisions n’avaient rien d’utopique : la preuve fut faite qu’un groupe de citoyens pouvait donner des recommandations qui servent l’intérêt général.
Je m’engage
En 2011 j’appris l’existence du G1000 par les médias : voyant tous ces gens débattre autour de ces dizaines de tables, à Tour & Taxi, j’aurais bien voulu en être ! Un an plus tard, une annonce dans Facebook apparaît : “cherche graphiste d’urgence”. Et hop, ni une ni deux, dans la minute je me portais volontaire, et dans la semaine j’étais en contact avec les cerveaux du G1000, pour concevoir un dépliant pour lancer la suite du projet.
Un millier de volontaires, et moi, et moi
L’air de rien, le G1000 a demandé presque un millier de volontaires en 2011, et ça les a bien usé ! Alors en 2012 on renouvelle les troupes. Et quand, lors de la première réunion de la cellule communication, je propose mes compétences pour le site web, me voilà définitivement intégré à l’aventure 2012.
Le travail est immense : il faut refaire tout le site, en 4 langues, le rendre plus complet mais… plus simple ! Et quand je me rends compte que je ne pourrai pas récupérer le code, et que je devrais donc réécrire tout le site, mon estomac se noue : dans quoi me suis-je engagé ? Mais en même temps, si “je veux sauver le monde” , voilà une belle occasion de mettre mes compétences au service d’une cause qui veut faire bouger les choses.
Le jour G !
Ce vendredi 14 septembre était le coup d’envoi du G1000, phase 3. Il fut précédé d’une semaine intense, où le site s’est développé en “flux tendu”. Jeudi minuit, le site était prêt, et vendredi à 9h, il était publié, talonné par l’envoi des dossiers de presse. Ouf ! Ce fut un peu de stress, mais quelle formidable expérience de travailler avec une équipe aussi motivée et compétente ! Et je ne suis pas au bout de mes bonnes surprises : j’ai pu assister à la réunion des 32 citoyens, au Parlement Flamand. Ce fut surprenant et instructif. Mais ça, ce sera pour un prochain article… www.g1000.org