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Le mythe du développement

Le mythe du développement

J’avais une chance sur quatre, et j’y pense chaque jour : oui, une chance sur quatre d’être parmi les plus nantis de la planète, de vivre dans une société d’opulence, sans famine, sans guerre, profitant pleinement du progrès.

Il y a donc trois quarts de l’humanité à la traîne, ne partageant pas notre confort de vie : ont-ils vraiment des chances d’y arriver ? Tentative de réponse avec Oswaldo De Rivero et son livre “Le mythe du développement”.

Non, ça ne marchera pas !

Oswaldo De Rivero a été ambassadeur péruvien pour l’ONU, et l’est maintenant pour l’OMC : comme il l’explique dans l’introduction de son livre, sa carrière le met aux premières loges pour assister aux difficultés des pays dits “en développement”. Alors il est temps de faire une mise au point, et de répondre à tous ces économistes et dirigeants des grandes puissances : non, ce n’est pas l’économie libérale et la mondialisation qui vont résoudre leurs problèmes !

Résumons quelques points…

E.C.I.

Les pays “riches”, “industrialisés”, ont une longue histoire, où la viabilité nationale a pu se mettre en place avant qu’une économie compétitive ne s’installe. Ce n’est pas le cas d’une flopée de nations qui, dans la déferlante d’indépendantismes du XXème, se sont créées sans mesurer la difficulté de leur gouvernance. La majorité de celles-ci sont donc devenues des E.C.I. : des Entités Chaotiques Ingouvernables !

L’acronyme est fort, De Rivero aime l’utiliser, et tape du poing : de tels pays ne sont pas suffisamment stables pour entreprendre les mesures nécessaires à un développement, en même temps qu’ils ne rassurent pas les entreprises transnationales à s’y installer !

Le mythe du développement
Une banlieue comme Oswaldo De Rivero doit bien connaître

C’est une autre histoire

Pour relancer leur économie, l’O.M.C. et la Banque Mondiale aiment imposer leur crédo (le Consensus de Washington), dont vous devinez la teneur, mais que je résume en quelques mots, pour les visiteurs occasionnels et les cancres au fond de la classe : libéralisation, privatisation, rigueur budgétaire, dérèglementation…

Pourtant, c’est oublier l’histoire de la Triade (Etats-Unis, Japon, Europe) : ces nations n’ont pas atteint leur puissance économique en appliquant ces directives, bien au contraire ! De plus, elles ont pu se développer à une époque où moins de nations étaient en concurrence : “Depuis que les États-nations industrialisés sont apparus, il y a 150 ans, plus de 185 États-nations sont apparus.” (p. 158)

Une économie Darwinienne

Les économistes aiment citer Adam Smith comme l’inspirateur du nouvel ordre économique mondial. Pourtant “Rien n’est plus éloigné des principes libéraux et moraux de l’économiste politique d’Adam Smith, et plus proche d’une jungle régie par la loi de sélection naturelle de Charles Darwin, que l’actuel processus de mondialisation.” (p. 94)

Les pays sont en concurrence et les nations sous-développées ont démarré la course avec une longueur de retard, retard qui se creuse. Car il serait illusoire de croire qu’elles pourront compter sur leur main-d’oeuvre ou leurs matières premières pour améliorer leur sort. Non seulement certaines matières se remplacent déjà par des produits synthétiques, mais en plus ce sont les “produits à fort contenu technologique” qui apportent le plus de richesse. Ce que les pays sous-développés ont peu de chances de produire : ils représentent 75 % de l’humanité pour seulement 7 % des scientifiques et ingénieurs ! (p. 135)

2 % de réussite

Bien-sûr, on voit des pays rejoindre la cour des grands : la 2ème moitié du XXème a vu la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong se transformer en pays “capitalistes modernes développés” . Mais ils ne représentent… que 2 % du tiers-monde ! Pour De Rivero, il n’y a aucune preuve que la mondialisation aide les pays en développement à s’en sortir.

Et puis il y a les pays “émergents” comme la Chine, l’Inde. Mais en fait, c’est plutôt 1/5e de leur population qui émerge ! Pour la Chine, cela représente donc 200 millions de nouveaux consommateurs : bien assez pour satisfaire un monde économique en demande de nouveaux marchés.

© Banksy

Est-ce le même monde que celui de Noemi ?

Malgré le nombre d’enseignements tirés du livre de De Rivero, je vais être sévère…

D’abord je suis étonné qu’il n’y ait pas un seul texte sur l’exploitation de la main-d’œuvre par les multinationales, tel que l’explique Noemi Klein dans son livre “No Logo”. Est-ce parce que ça ne change rien à la donne… ou parce qu’à l’image du livre, l’auteur site beaucoup de généralités et donne peu de situations concrètes ?

Ensuite, il y a la structure du livre : l’auteur se répète, les thèmes se mélangent, les chapitres donnent l’illusion que la thématique est structurée mais il n’en est rien. Pour exemple, de mémoire, l’auteur reviendra 4 ou 5 fois sur les pays soutenus par les Américains et les Russes, du temps de la guerre froide, et laissés à leur sort non viable une fois abandonnés par leurs mentors.

Bref, l’ouvrage aurait pu être écrit en deux fois moins de pages (pourtant il n’est pas bien épais), et en même temps, j’ai l’impression que l’auteur est passé à côté d’autres réalités, qu’il n’a pas présenté un panorama complet de ce thème complexe.

Tout cela est d’autant plus dommage que l’éditeur du livre se veut “une collection mondiale pour une autre mondialisation” : ce genre d’édition ne privilégie-t-elle pas l’information brute à la qualité littéraire ou journalistique ?

Bref, les pays en développement, j’y reviendrai !

“Le mythe du développement”, par Oswaldo De Rivero, éditions “Enjeux Planète”, 234 pages

87% des internautes vivent dans les pays industrialisés et dans les ghettos de revenus élevés dans les pays pauvres (p. 97). Voilà un chiffre qui en dit long sur qui profite du progrès.

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Le Hameau, qui défie le pouvoir, l'argent, la peur

Les aventuriers de l’abondance

Imagines que tu prépares une grande fête, avec un buffet assez garni pour nourrir 100 convives affamés. Mais tu décides que seuls les blonds aux yeux noisettes pourront en profiter. Les autres ne pourront que regarder.” Voilà ce que dit Catherine à Murielle, pour résumer la logique de notre société : il y a assez pour tout le monde, mais seuls certains en profitent. Tandis qu’on ne sait que faire de l’excédent.

Bienvenue dans notre société de l’abondance…

Un roman qui ne manque pas de SEL

Philippe Derudder fut chef d’entreprise, mais dégoûté par le système économique auquel il ne croyait plus, est parti en croisade pour trouver une nouvelle voie économique et sociale. Son livre “Les aventuriers de l’abondance” est une fiction, destinée à nous initier aux systèmes d’échange locale (les S.E.L.), et à une autre forme de vie en société.

Nous y suivons Murielle, qui a rencontré Catherine, celle-ci ayant mis en place, dans son hameau, une économie locale qui jette les bases d’une alternative au système monétaire actuel.

Pourquoi rechercher une “alternative au système monétaire actuel” ? Pour revenir à la fonction première de l’argent : une mesure d’échanges de services et de biens, et non créer un enrichissement (comme je le disais l’autre fois devant la caméra : “L’argent n’a pas été inventé pour faire de l’argent” ). Et en conséquence, créer une société plus équitable et moins consommatrice de nos ressources.

Suivons donc Murielle qui découvre les quelques principes qui régissent le Hameau (l’auteur ne lui donne pas de nom, alors je le nomme avec un grand H pour faciliter la suite), perdu quelque part en France…

Le Hameau : un vilage pour une autre société
Le Hameau : un village pour une autre société

Une monnaie fondante et trébuchante

Nous découvrons que le Hameau fonctionne avec sa propre monnaie, base minimum pour prendre son indépendance vis-à-vis des aléas de la société économique qui l’entoure. C’est le “Licorne”.

Et pour éviter que l’argent s’accumule dans les coffres pour servir de rente, plutôt que d’être utilisé comme unité d’échange, il fond ! Le concept n’est pas neuf, il a été imaginé par Silvio Gesell (cocorico, il est à moitié Belge !), au début du XXème, dans son ouvrage “L’Ordre économique naturel”. Et donc le “Licorne” fond : il perd 2 % de sa valeur chaque mois. Conséquence : on a intérêt à l’utiliser, cet argent !

Et voilà comment on fait tourner l’économie locale. Mais il fond pour une autre raison…

Donnes-moi des sous

Guy, fermier installé depuis deux ans, veut restaurer et aménager un bâtiment pour en faire une laiterie-fromagerie : il a besoin de plusieurs corps de métier, présents dans le Hameau. Il va alors chez le Trésorier, car il n’a pas l’argent pour payer ces services. Et le Trésorier… lui donne l’argent qu’il a besoin ! Ce n’est pas un prêt ! Car “l’argent n’est créé que pour financer des richesses réelles sous forme de biens et services” (page 133). Les prestataires de services seront en fait les premiers bénéficiaires de cette nouvelle masse d’argent, qui circulera ensuite pour des échanges commerciaux ordinaires.

Et voilà la deuxième raison de faire “fondre” l’argent : sans ça, la masse d’argent ne cesserait d’augmenter (car je vous le rappelle : Guy a reçu l’argent, il ne l’a pas emprunté), elle n’aurait plus de rapport avec les richesses réelles, il y aurait une inflation.

Ce n’est pas le Moyen-Âge

Oui, bon, est-ce que le Hameau est retourné à l’air du Moyen-Âge, déconnecté de la modernité qu’elle ne peut produire lui-même ? Bien-sûr que non : électricité, voitures et produits manufacturés n’ont pas disparu. Alors, il existe des “passerelles” pour interconnecter les deux mondes, et ses habitants ne manquent pas de conviction pour faire adopter le “Licorne” à des allochtones. Car oui, il ne faut pas habiter sur place pour être sympathisant du système.

Mais je ne m’attarde pas là-dessus, je n’ai pas le talent de l’auteur pour vous en convaincre. Parlons plutôt de philosophie…

Le sens du général

Car évidemment, pour savoir vivre dans le Hameau, il ne faut pas être un consommateur compulsif ! Il faut savoir se contenter de l’essentiel, et cela demande une remise en question de son comportement, de sa manière de vivre. Avec la question essentielle : qu’ai-je besoin pour être heureux ?

Cette introspection, l’auteur ne manque pas de nous le faire vivre au travers de ces personnages, qui ont dû apprendre à laisser tomber les valeurs imposées par notre société de consommation, au bénéficie de la vie en communauté, où l’intérêt de celle-ci compte autant que celui de l’individu.

Ce qui implique de la personne voulant rejoindre le Hameau, qu’elle acquiert un sens élevé de l’intérêt général. Voilà bien un “sens” qui ferait du bien à notre monde, n’est-ce pas ?

Ceci n’est pas une fiction

Philippe Derudder nous a écrit un roman, avec une légère intrigue (un agent infiltré du gouvernement tente de faire saborder le système). Mais il faut surtout le prendre comme un “docu-fiction” (pour reprendre ce terme à la mode). Sans quoi l’histoire serait peu passionnante et ses personnages, donneurs de leçons, très irritants.

Mais des expériences comme le Hameau, cela existe : il suffit de googleler sur “monnaie fondante”, “parallèle” ou “locale” , pour en trouver.

Et il ne faut pas chercher bien loin : le SEL se développe dans certaines régions, comme dans ma commune : je parlerai bientôt du SEL de Jette…

En attendant, je vous laisse avec cet Entretien avec Philippe Derudder sur l’économie, le capitalisme et la spiritualité, qui porte un regard intéressant sur notre capitalisme, et résume l’état d’esprit de son livre.

“Les aventuriers de l’abondance” par Philippe Derudder, 313 pages, éditions Yves Michel

Alors, prêt à vivre dans le Hameau ?

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Dicature de la croissance - perdue dans ma bibliothèque de consommateur

Dictature de la croissance

Voici 50 ans, on construisait des routes et des autoroutes, des aéroports et de collèges. Ce serait faire preuve de mauvaise fois que de nier l’évidence : le plus gros est fait.” Bon, et maintenant, on fait quoi pour entretenir l’économie ?…

Un monde de superflu

Depuis que je m’informe sur les dérèglements de notre monde, se pointe toujours à l’horizon une barrière qui parait infranchissable, qui met le holà à toute alternative de société : la “croissance économique”. Cette sacro-sainte croissance, dans laquelle nous sommes empêtrés, qui est la réponse à tous nos maux : “il faut relancer la croissance”. Il n’y a pas un jour sans que cette phrase ne sorte de la bouche d’un politicien, d’un journaliste, d’un analyste.

Certes, la croissance nous a apporté un niveau de vie incomparable. Mais elle a surtout fonctionné à la sortie de la 2ème guerre mondiale : ce furent les “trente glorieuses” en Europe. Maintenant que nous avons construit l’essentiel, nous produisons du superflu pour maintenir ce modèle économique : n’est-il pas temps de changer de recette ?

Un jouet mongole plutôt écologique
Des pierres, des vieux tissus et un peu de bouse : les petits mongols n’ont pas des jouets qui participent à la croissance !

Dans la douleur

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le livre de Gérard Moreau ne propose pas la “décroissance” (on en parlera donc une autre fois). Mais il entend bien nous montrer l’absurdité de la croissance, en nous rappelant d’abord que “le progrès économique s’est opéré dans la douleur, la déportation, l’esclavage et la mort pour des millions de personnes.” (page 41). Et qu’à l’heure actuelle, dans nos pays, “la grande pauvreté côtoie le luxe” . Si ce système aurait dû éradiquer la pauvreté de notre monde, on peut dire que le contrat n’est pas rempli !

L’esthétique de la croissance

Découpé en petits paragraphes numérotés (il y en a 278), l’auteur commence son inventaire par… la culture ! Eh oui, elle est une grande victime de la croissance : l’art devient un bien de consommation, nous ne sommes pas amateur d’art, nous sommes acheteur d’art. Nous voulons voir et entendre un maximum de choses sans prendre le temps de nous y intéresser. Les œuvres n’ont plus le temps de nous séduire !

S’y ajoute une standardisation de la culture, et même de tout ! Car “La standardisation constitue l’un des fondements de la société de croissance productive” (page 57). Propulsée par la télévision, matraquée par la publicité, la culture est en passe de devenir le principal agent de la production, venant au secours d’une industrie qui ne sait plus quoi nous vendre…

L’emploi c’est fini : tant mieux

Au lieu d’y voir la fin d’un long cycle de croissance et le signe avant-coureur de la fin d’une époque, nous le subissons presque tous comme un fléau” (page 80). C’est du chômage que parle ensuite Moreau. Il rejoint les idées de Jeremy Rifkin : les machines produisent mieux, le travail s’automatise, tandis que la majorité des gens (c’est à dire celle à laquelle s’intéresse l’économie !) a déjà tout ce qu’il faut. Ce sont deux facteurs convergents pour éliminer du travail, et pourtant on continue à prendre des mesures pour créer de l’emploi et chasser le chômeur. Alors que le temps libéré par moins de travail augmenterait les relations sociales.  “Serait-il insupportable de rencontrer des chômeurs heureux ?” (page 83).

Et avec le nombre croissant d’étudiants en hautes études, ne devrait-on pas y voir une soupape de sécurité permettant de retarder les nouvelles générations sur le marché du (non)travail ?

Une bonne guerre

Continuons donc à noircir le tableau, et cette fois notons en vrac : la réduction de durée de vie des produits (l’obsolescence programmée), la concurrence entre sociétés qui augmente le stress des travailleurs, la concurrence entre pays qui détériore les droits sociaux, la destruction des denrées pour maintenir les cours, l’envahissement de nos espaces par la publicité.

Et où est la morale quand on sait que vendre plus d’armes, plus de médicaments, ou reconstruire après une catastrophe, contribue à la bonne santé de la croissance ? Faisons une guerre : la croissance, elle va… exploser !

L’alternative passe par nous

Bon, arrêtons-nous là. Peut-on effacer ce tableau et envisager autre chose ?

Pour Moreau, il faudrait avant tout un courage de la part des décideurs : la société est tellement imprégnée du dogme de la croissance qu’envisager un autre horizon fait peur. Et c’est la le principal obstacle, car après tout, si on a été capable d’aller sur la lune…

En fait l’auteur ne propose pas vraiment une autre alternative économique, ce n’est pas son but. Son livre doit juste nous réveiller, nous faire réagir, nous inviter à vivre autrement, et le but est atteint sans nous ennuyer. Car le changement arrivera par la masse, celle-là même qui fait vivre la croissance en consommant sans compter.

Alors, si vous êtes choqué par ses propos encourageant à moins travailler, si la consommation contribue à votre bonheur, si vous croyez que vous n’êtes riche que par l’argent, c’est bien une société de croissance qu’il vous faut. Demandez-vous juste si c’est la société qui répond ainsi à notre nature humaine, ou si c’est la nature humaine qui a été changée par notre société…

Dicature de la croissance - perdue dans ma bibliothèque de consommateur
Dans ma bibliothèque de grand consommateur, ce livre est-il à sa place ?

“Dictature de la croissance” par Gérard Moreau, 167 pages, éditions Ginkgo.

"Avec son explosition planétaire, le concept de croissance a rencontré ses limites. (...) Il faudrait maintenant qu'il quitte la scène de l'histoire." (page 120)

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