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Quartiers de Santa Fe, Mexico

Richesse mondiale, richesse immorale

La banque Credit Suisse a publié son nouveau rapport sur la richesse mondiale : c’est l’occasion de s’émerveiller ou de s’indigner, de se réjouir ou de se lamenter.

Plein les poches

Depuis que j’essaie de sauver le monde, il y a une question qui rode dans ma tête : imaginons que l’on mette nos richesses dans un pot commun, et qu’on les redistribue à parts égales à tous les habitants, adultes, de la terre. Chacun recevrait combien, et deviendrais-je plus riche ou plus pauvre ?

Credit Suisse m’apporte la réponse, avec son rapport annuel Global Wealth Report 2014. Soit 64 pages qui analysent la richesse mondiale, en croissance permanente.

Et voici ce que cette institution financière a calculé : en additionnant les actifs financiers, les actifs réels (principalement l’immobilier), et en soustrayant les dettes, nous arriverions à 263 billions de dollars pour tout le monde. En se partageant le gâteau, cela fait 56.000 dollars par adulte, soit quelques 43.700 euros dans ma poche comme dans la vôtre.

Je dois vous avouer que dans ma grande naïveté, je ne m’attendais pas à une moyenne si élevée. Je mijotais déjà une formule moraliste du genre “Vous voyez qu’on n’est pas si mal, arrêtez de vous plaindre !” .

Ils sont les 1 %

Vous vous en doutez, cette moyenne est élevée car tirée vers le haut par les très riches. On vous l’a déjà servi, mais je remets le couvert avec des chiffres frais : 0,7 % de la population mondiale (35 millions de personnes) possède plus de 1 million de dollars. Ce qui donne la formule choc : 1 % de la population = 48,2 % de la richesse mondiale.

Et voici le plat de consistance : 10 % de la population =  87 % de la richesse mondiale  ! Mais avant de vous indignez, vérifiez que vous n’en faites pas partie. Vous verrez cela deux chapitres plus loin.

Et voici le dessert : 50 % de la population mondiale la moins riche détient… 1 % des richesses.

Vous ne savez pas où vous vous situez ? Passons à la médiane…

Notre civilisation est une pyramide (c) Credit Suisse
Notre civilisation est une pyramide © Credit Suisse

Une valeur qui divise

Si le monde se divise en deux, entre 50 % de moins riches et 50 % de plus riches, c’est qu’une valeur a été calculée pour savoir dans quel camp on se trouve. En statistiques, on l’appelle valeur médiane, et la voici pour la richesse mondiale : 3.650 dollars.

Ce qui donne 2.852 euros, et je suppose que la plupart d’entre vous se situe au-dessus de cette richesse : vous faites partie des 50 % les plus riches de la planète (d’aucuns préféreront la formule “50 % les moins pauvres de la planète” !).

Mais voici un autre chiffre : 135.000 euros. C’est la valeur médiane pour la Belgique. Ce chiffre est énorme ! Mais c’est un bon signe : il indiquerait que les écarts de richesses sont moins grands chez nous qu’ailleurs. En fait, seul l’Australie fait mieux, avec 225.000 dollars. Quant aux États-Unis, elle est de 53.352 dollars. Ce n’est pas un exemple à suivre !

Nous pouvons donc être fier d’être dans un pays plus égalitaire qu’ailleurs. Du reste…

Vous êtes les 10 % ?

Voici un dernier chiffre. La richesse au-delà de laquelle vous faites partie des 10 % les plus riches. Vous vous rappelez ? Ceux qui possède 87 % des richesses mondiales…

En êtes-vous, ou pas ?

Roulement de tambours… 66.000 euros.

Attention, je le rappelle, c’est une richesse par adulte et non par ménage.

La morale

Le rapport de Credit Suisse regorge de chiffres qui nous permettent des comparaisons à l’infini. Que les plus curieux n’hésitent pas à le parcourir. Pour les autres voici quelques constats marquants :

  • la richesse mondiale ne cesse d’augmenter (8,3 % en un an), avec une augmentation corolaire de millionnaires et milliardaires ;
  • tandis que les inégalités se creusent. Alors qu’elle se réduisait un peu, dans de nombreux pays, avant la crise de 2008 ;
  • et les Suisses détiennent toujours le record de la richesse moyenne : 581.000 dollars.
Quartiers de Santa Fe, Mexico
Un monde plus riche, et moins moral © Erase the difference

De ce que révèle ce “Global Wealth Report 2014” , on pourrait en débattre et philosopher des jours et des nuits. Ce que je ne vais pas faire ici.

Mais je ne peux refermer ce rapport sans rebondir sur cette phrase en page 23, à propos des plus fortunés : ce sont des “personnes ayant acquis une grande fortune par une combinaison de talent, de dur labeur et de chance” . Ces gens sont donc récompensés cent fois, mille fois, dix mille fois plus que la majorité de la population. Avec un impact environnemental en proportion. Est-ce bien moral ?

Allez, consolons-nous : ils ne sont certainement pas dix mille fois plus heureux que nous.

Votre sentiment par rapport à ce que nous révèle le Global Wealth Report 2014...

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Kiva : faites du microcrédit

Que peut-on faire avec 20 euros ? Acheter le dernier Musso, se payer un moules-frites sans le verre de vin blanc, s’offrir une demi chaussure ou… prêter cet argent à des gens qui en ont bien besoin.

Pour une poignée de dollars

20 euros, en réalité 25 dollars, c’est la somme minimum que Kiva vous propose de mettre sur la table pour devenir un acteur du microcrédit. Cette ONG californienne, créée en 2005, a eu la bonne idée suivante : permettre aux internautes du monde entier de prêter leur argent à des gens démunis, répartis dans 77 pays.

Le système est simple :

  1. Vous vous inscrivez sur Kiva.
  2. Vous alimentez un compte par transfert PayPal (qui ne prend pas de commission).
  3. Vous choisissez la ou les personnes (les “borrowers”) à qui vous prêtez votre argent.
  4. Ces personnes vous remboursent mensuellement suivant leurs moyens (l’argent revient sur votre compte Kiva).
  5. Quand vous avez regagné un peu de fonds, vous recommencez le point 3…

Comment fonctionne Kiva ? (en anglais)

Une autre richesse

Comprenez bien, ceci n’est pas un investissement : il n’y a pas de taux d’intérêt sur le remboursement. Qui plus est, votre argent a une tendance à fondre, car Kiva vous propose de verser un petit pourcentage sur chaque prêt, pour les frais de fonctionnement de l’organisation.

Il y a en plus un petit risque de non-remboursement, le taux de remboursement étant de 98,87 %. En fait, les prêts passent par une agence locale de microcrédit : elle est détaillée dans la fiche de projet de chaque emprunteur.

Bref, il s’agit d’un geste philanthropique, qui donne beaucoup d’utilité à notre argent. Et ne croyez pas que ce système n’intéresse que quelques idéalistes : nous sommes 1.210.249 à être dans Kiva ! Les sommes en jeu atteignent presque 600 millions de dollars, ce qui a permis à l’organisation de faire plus de 700.000 prêts.

Voyons maintenant qui sont les emprunteurs.

Salvarby, Jimy Jesus, Moudi et Sinan ont besoin de votre argent

Quand vous arrivez sur le site de Kiva, vous êtes accueilli par une mosaïque de photos : des gens en attente d’un prêt. Mais ce n’est que le sommet de l’iceberg : ils sont plus de 3.000 personnes (dont les deux tiers sont des femmes) à proposer un projet demandant un prêt de 125 à 10.000 dollars (la moyenne étant de $ 418.32).

Il ne vous reste plus qu’à choisir à qui vous voulez prêter par tranche de $ 25, et le site vous propose de multiples moyens de trouver vos coups de cœur : la liste des projets se trie et se filtre sur de multiples critères, comme le domaine d’activité (agriculture, construction, éducation…), des attributs (Faire Trade, zones de conflit, jeunesse…), le pays, homme ou femme, etc.

Alors, entre Salvarby du Tadjikistan qui a besoin de vêtements d’enfant pour son magasin, Jimy Jesus du Pérou qui doit construire une clôture, Moudi du Zimbabwe qui aimerait acheter des poules, et Sinan du Cambodge qui veut une motocyclette pour faire taxi, les besoins sont multiples et variés.

Et parfois peuvent heurter nos principes.

Des smartphones pour les enfants

Car nos choix sont dictés par nos valeurs, sans doute en décalage avec la réalité du terrain.

Par exemple, je ne prête pas à des agriculteurs empruntant pour des fertilisants et insecticides : c’est à l’encontre d’une certaine agriculture que je défends. Mais est-ce juste ? Ma fois, il faut bien que je trouve des critères de sélection.

Mais que penser de Mohammed du Yemen qui veut acheter deux mobiles Galaxy à ses enfants, ou Tsetsegmaa de Mongolie qui recherche $ 1.100 pour une télévision LCD ? À force de voir des demandes de prêts pour des choses essentielles, on a du mal à accepter de tels projets. Mais il y a matière à débattre : on est bien mal loti pour prétendre qu’un crédit ne pourrait pas servir à de tels achats.

Et puis, l’essentiel n’est-il pas que notre argent serve à améliorer la vie des gens ?

Plus de 3.000 "borrowers" vous attendent
Plus de 3.000 “borrowers” vous attendent

You’ve received a repayment on a loan !

À mon souhait “J’aimerais que mon argent soit utile”, Kiva y répond parfaitement. Il suffit de voir le temps que met un débiteur à nous rembourser pour se rendre compte de la fortune que nous avons. Que Surhrobjon, du Tadjikistan, me rembourse en un mois ce que je dépense pour un café, n’est-ce pas indécent ?

Avec une petite somme, celle de votre prochain moules-frites, vous pouvez enchaîner les prêts et aider des dizaines de personnes dans le monde…

… voire des milliers, comme ZX81, de Bruxelles : inscrit depuis le 22 janvier 2007, il en est à 118.082 prêts ! Qui dit mieux ?

L'organisation Kiva...

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Faut-il faire sauter Bruxelles ?

Faut-il faire sauter Bruxelles, enfin, le kilomètre carré constituant le quartier européen ? Un petit livre nous invite à en fait le tour, afin de nous en convaincre…

Balade à Euroland

Il est provocateur, ce titre ? Mais l’Europe l’est aussi ! S’il faut chercher un prétexte à s’insurger, on le trouve rue Wiertz, et c’est par là que commence l’itinéraire touristique et critique de l’auteur : une plaque commémorative félicitant la bonne collaboration entre le Parlement et… la SEAP, soit la Fédération européenne du lobbying et public affairs !

L’auteur est français, c’est François Ruffin, reporter pour France Inter et Le monde diplomatique. Il n’est pas né de la dernière pluie, mais n’empêche, voir le lobbying s’afficher avec autant de franchise, il n’en revient pas : pourrait-on imaginer les lobbies du nucléaire remercier le Sénat dans les jardins du Luxembourg ?

Ruffin a donc fait un itinéraire touristique de la capitale européenne, en six étapes : le Parlement européen, la Commission européenne, le bâtiment Jacques Delors, la Confédération européenne des syndicats, DG Environnement et la Sofina.

Un périple aux allures d’un reportage de Michael Moore : Ruffin interpelle les décideurs, téléphone, écrit, sonne aux portes, intervient dans les conférences de presse… Mais ne parvient pas à faire de vagues : l’institution européenne est une grosse machine bien huilée, et personne n’est là pour la gripper !

Ils jouent au football ensemble

Heureusement pour l’auteur, il n’est pas tout seul à s’insurger…

Ici, il n’y a pas de peuple. Il n’y a personne pour dire ‘Vous n’avez pas le droit’. Les députés sont laissés dans le vide, loin de leurs décideurs, adossés à rien. Et donc, ce sont les lobbies qui remplacent le peuple !” . Voilà ce que nous explique Olivier Hoedeman, de l’ONG Corporate Europe Observatory.

Et voici la suite, page 30, pour répondre à l’auteur qui s’inquiète du manque de sens critique des journalistes :

[…] Il faut comprendre l’atmosphère bruxelloise. Ici, les lobbyistes, les assistants, les journalistes, les juristes, ils sont tous expatriés. Alors, ils forment une communauté. Ils s’invitent les uns les autres, ils jouent au football ensemble, ils deviennent amis – et plus si affinité. Ça anesthésie le débat public.

Faut-il alors s’étonner que pour réformer le milieu bancaire, les politiques suivent une feuille de route basée sur un “rapport officiel, mais plutôt confidentiel” , rédigé par des experts ayant au moins un pied, mais souvent les deux, dans le milieu de la finance ?

– Choisir une personne de Lehman Brothers pour travailler sur la régulation…
– Mais écoutez, il fallait des experts qui connaissent le système…” (réponse du porte-parole du président Barroso, p. 43)

Chacun a sa manière de se plaindre de l'Europe !
Chacun a sa manière de se plaindre de l’Europe !

La faiblesse tranquille

Peter Mertens l’expliquait déjà dans son livre “Comment osent-ils ?” : l’Europe a été faite pour les entreprises, pas pour le progrès social. François Ruffin surenchérit donc sur cette thèse, et il faut dire qu’il ne rencontre pas grand monde voulant inverser le mouvement.

Et la seule institution qui pourrait faire front semble gangrenée par le politiquement correct : la Confédération européenne des syndicats, qu’il surnomme “la faiblesse tranquille”, ne cherche pas la confrontation, mais établit des alliances, met en place des plateformes de discussions, se repose sur une communication efficiente. Une belle collaboration qui lui vaut les félicitations de la Commission !

En face se tient une armée, qui instille ses mots dans les esprits, qui impose ses lois dans les parlements, qui quadrille l’échiquier de la démocratie. Et contre ces régiments de la résignation, on en appelle au bon sens, à la compréhension de nos dirigeants, à des agences de communication ? Le remède ne paraît pas à la hauteur du mal.” (p. 71)

Le jeudi soir, c’est la fête

Le petit livre de François Ruffin se lit avec plaisir, mais on le referme avec une certaine inquiétude. Certes il fait l’impasse sur tout ce que l’Europe apporte de positif (si si, il y a des bonnes choses), mais n’oublions pas que Bruxelles est la deuxième place forte du lobbying, après Washington, et ça ce n’est pas une bonne nouvelle. Regardez-donc “The Brussel Business” : cela devrait égratigner l’image que vous vous faites de cette belle institution.

Il y a toutefois un endroit que notre reporter a manqué : la place du Luxembourg, le jeudi soir. Tous les eurocrates sont là, font la fête, et il y aurait certainement trouvé des syndicalistes trinquant avec quelques lobbyistes, de l’agriculture industrielle par exemple

L’auteur finit son livre en proposant de faire sauter le quartier européen. En se demandant s’il faut faire évacuer les bâtiments ! Je lui réponds donc : si c’est un jeudi soir, la question ne se pose pas !

Dans “Le Président” d’Henry Verneuil, 1961, Jean Gabin tient un discours visionnaire…

“Faut-il faire sauter Bruxelles ?”, par François Ruffin, 123 pages, Fakir Editions

Faut-il faire sauter les institutions Européennes ?

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