Le monde est-il moins violent qu’avant ? Probablement. En tout cas, si on vit en Europe…
Un livre pour les moins de 60 ans aussi
Voilà une drôle de série que nous sortent les éditions 10/18 : “Le monde expliqué aux vieux”. Soit 4 petits livres aux couleurs fluo : “Facebook”, “La solitude”, “Lady Gaga”, et le présent ouvrage “La violence”. Cette série est écrite en collaboration avec “Usbek & Rica” , un nom bizarre pour une revue à laquelle je suis abonné. Elle se présente comme “le magazine qui explore le futur”, qui se distingue par ses sujets originaux (“Faire l’amour en 2050” , “A quand un droit des robots ?” , “Se téléporter comme dans Star Trek” ) et pour son graphisme rétro-futuriste…
Expliquer aux “vieux” est, évidemment, un prétexte pour remettre dans le contexte notre perception des choses, et dans le cadre de la violence, pour se rendre compte que ce n’était pas mieux avant – je veux dire, que ce n’était pas moins violent ! L’âge minimum pour lire cet ouvrage n’est donc pas 60 ans !
Pour nous raconter tout ça, c’est Cécile Colette, journaliste tout terrain pour la revue susmentionnée, mais aussi pour ARTE, qui relève le gant.
Guerres 2.0
Elle nous rappelle d’abord que la violence, il n’y a pas si longtemps, c’étaient les guerres ! Si aujourd’hui quelques militaires morts en mission entraînent un deuil national, l’hommage du chef de l’État et l’indignation de l’opinion publique, à l’époque de nos grand-parents, les soldats n’étaient que de la chair à canon !
C’est un fait : les conflits dans le monde sont en diminution.
Et en ce qui nous concerne, Européen, quand il y a une guerre, elle se passe dans un pays lointain : nous la vivons au travers d’images nous donnant moins de sensations qu’un Call Of Duty !
“Le temps n’est plus aux étendards sanglants levés. Le son des canons intempestifs s’éloigne. La guerre devient silencieuse.” (p. 37)
Mots placebo
“On mesure mal à quel point l’espace public était jadis violent. A côté des insultes qui pleuvaient contre les “bicots” et les “youpins”, nous sommes devenus bien fades. S’il tend à aseptiser la parole, le politiquement correct constitue un progrès indéniable.” (p. 38)
On est souvent agacé par le politiquement correct, sous la surveillance d’organismes bien-pensant comme Le Centre pour l’égalité des chances ou SOS racisme : on ne peut plus appeler un chat un chat. Mais cela fait partie de l’évolution de notre société, qui tend à lisser notre langage, ménageant les susceptibilités. A l’heure de l’information rapide comme un tweet, qui propage la moindre phrase maladroite avant qu’elle ne soit terminée, c’est une prudence qui n’est pas superflue.
Pour autant, parler de censure serait un amalgame : toutes les opinions s’expriment, et que ceux qui croient que la pensée unique s’impose aillent donc lire les journaux à l’époque des guerres, où la propagande et la censure battaient son plein…
La violence en 5 points
Résumons la suite… En 7 chapitres (dont deux expliqués plus haut), l’auteure nous brosse les aspects suivants de la violence, et ma foi, en ce XXIème siècle, tout ne s’est pas amélioré….
- Nous vivons dans un État protecteur – d’aucuns diront un État policier – qui multiplient les lois (jusqu’à nous protéger des abus du patron ou du compagnon), qui multiplient les polices (PJ, GIGN, RAID et j’en passe), ainsi que les mesures de prévention. Bref, l’individu est protégé contre lui-même, c’est qui est assez récent dans notre civilisation.
- Les bandes de petits malfrats sèment le désordre. Aujourd’hui ils viennent des “cités”, mais hier c’étaient les blousons noirs, et il y a longtemps c’étaient des malfaiteurs encapuchonnés dans les forêts ! Rien de neuf donc. Si ce n’est une surmédiatisation du phénomène.
- Une nouvelle violence fait son apparition : notre société est sans pitié pour les perdants, les sans-emplois, les “pas beaux”. C’est le culte de la réussite qui prévaut, dans les médias comme au travail. C’est une violence morale.
- La sécurité est devenue un business : milice privée, société de gardiennage, de surveillance. “Aujourd’hui, on commande un agent de sécurité comme un plateau de sushis.” (p. 113). L’État perd son monopole sur l’ordre public, et ce n’est pas une bonne nouvelle… Quoique, d’aucuns diront que ça crée beaucoup d’emplois !
- Nous n’avons plus les combats dans les arènes, mais on peut compter sur les médias pour nous abreuver d’images chocs, parfois en direct, comme le 11 septembre. En même temps, chacun s’improvise journaliste de terrain, photographiant et filmant les malheurs de l’humanité. Quant à la fiction (les films), elle overdose nos sens avec une violence dépassant la réalité. De toute ça, on risquerait bien d’en être blasé…
Nous avons touché le fond
Le problème avec ce genre de livre, c’est sa portée très localisée, à savoir la France, à laquelle on peut facilement assimiler notre Belgique et d’autres pays d’Europe. Mais je ne dirais pas que son analyse soit valable pour l’ensemble du monde occidental dit “industrialisé”. Cela m’a frappé quand l’autre jour je regardais un reportage sur les gangs de Los Angeles : dans la nation la plus avancée au monde, la violence ne semble pas sur la pente descendante !
Alors, finalement, va-t-on vers une société moins violente ? L’homme de demain sera-t-il doux comme un agneau ? Laissons la conclusion à l’auteure (p. 133) : “Quand on a touché le fond de la piscine, un bon coup de pied suffit pour remonter à la surface… Les hommes ont connus leur lot de drames, dans les décennies passées. Peut-être que c’était ça, le fond : le chemin des Dames, Guernica, Auschwitz. Peut-être que depuis nous ne cessons de remonter à la surface, qui sait ?”
“La violence” par Cécile Collette, 140 pages, éditions 10/18