Les économistes nous prennent-ils pour des imbéciles ? Ce petit livre veut nous en convaincre. Et il le fait bien !
Oncle Bernard
Bernard Maris n’est plus. Si je vous dis qu’il écrivait pour Charlie Hebdo, vous devinez ce qui lui est arrivé !
Comme je l’avais alors écrit, un de ces ouvrages prenait la poussière dans ma bibliothèque : datant de 1999, il s’était fait doublé par des écrits plus récents, dans l’urgence de l’actualité.
Il faut dire aussi qu’avec un tel titre, je m’attendais à un pamphlet et non à une œuvre délivrant son sage enseignement.
Et c’est bien le cas.
Ma fois, c’est une petite récréation qui fait du bien. Car “Oncle Bernard” a le verbe épique et n’y va pas de main morte. Professeur d’économie et journalistes pour Le Monde, Marianne, Le Nouvel Observateur entre autres, notre homme connaît la matière, et une telle critique de sa discipline ne doit pas passer pour une simple saute d’humeur. En lisant ses paroles, on change son regard sur l’économie. Si ce n’était pas déjà fait !
Un vaste bordel
“[…] il n’y a pas de théorie du libéralisme, de la concurrence, de l’efficacité, […] tous ces mots – libéralisme, concurrence, efficacité – relèvent de l’idéologie la plus plate et de l’utopie la plus totalitaire, aussi totalitaire que furent les utopies socialistes et staliniennes !” (p. 41)
Depuis la révolution industrielle, les économistes n’ont eut de cesse d’imaginer des théories, la plupart poussant à aller vers plus de libéralisme, grâce auquel on atteindrait un équilibre des marchés, une harmonie entre les couches sociales, bref, une société enfin parfaite et sans guerre. Cet équilibre viendrait de lui-même, par la somme des comportements des individus “égoïstes” et “indépendants” constituant l’offre et la demande. C’est “la main invisible”, déjà suggérée par Adam Smith au XVIIIè siècle.
Sauf que l’offre et la demande ne conduisent pas les individus à un comportement rationnel ! Nous ne sommes pas dans “un monde d’égoïstes primaires, d’ahuris, débiles, […] occupés à regarder leur nombril et leurs dilemmes coûts-avantages, n’ayant aucune finesse, intelligence, psychologie, émotion, […] ne cherchant jamais à savoir ce que pensent les autres, ignorant tout […]” (p. 23)
Keynes, Sonnenschein, Walrasn Debreu, Arrow, Lipsey et Lancaster, Nash sont autant d’économistes ayant mis à mal l’intuition d’Adam Smith, celle-ci devenue un dogme défendue par Hayek, Hicks, Friedman et compagnie, qui croient en un équilibre naturel des marchés, qu’il faut laisser sans entrave.
“Si les mots marché et loi de l’offre et de la demande ont un sens, ils signifient bizarreries, aberrations, déséquilibre, indétermination, destruction, pagaille, capharnaüm. Bordel. Le marché est un vaste bordel !” (p .25).
La réalité est fausse
“Pourquoi l’Économie, Science, avec ses fastes, ses Nobel et ses pompes, est-elle la seule qui soit autorisée à raconter les plus invraisemblables fantasmagories ?” (p. 15)
Les économistes sont des savants qui pratiquent la science à l’envers. Ils théorisent mais ne découvrent rien. “L’économie est cette discipline où on ne sait pas de quoi on parle, ni si ce qu’on dit est vrai.” (p. 38)
Et quand une crise survient, ils ont juste un sourire crispé : il leur manquait une variable. Pire, ils deviennent intégristes, comme Stiegler : “Ce n’est pas la science économique qui est fausse, c’est la réalité.”
Et dire que la plupart est récompensée par un prix Nobel d’économie (l’auteur n’explique pas qu’il s’agit en fait d’un prix de la Banque de Suède et non de la Fondation Nobel).
Leur nullité crasse
Parmi les nobélisés, on trouve Merton et Scholes, qui ont “étalé devant le monde entier leur nullité crasse.”
Ces génies de la finance “avaient bricolé une martingale, une formule, permettant de déterminer à l’avance le prix des options.” (p. 65). Dans les années 90 ils deviennent les têtes pensantes de LTCM (Long Term Capital Management), qui attire les grandes banques et les courtiers. Leur succès est phénoménal. Avec moins de 3 milliards de dollars, ils en arrivent à brasser l’équivalent du PIB français : 1.250 milliards.
Jusqu’à ce que tout s’effondre, ébranlant toute la finance internationale. C’était en 97, quelques mois après leur prix Nobel !
“Merton et Scholes ont, comme tous les économistes, véhiculé la vieille idée de la transparence du marché, le mythe de la prévision parfaite, l’idéologie, encore plus radicale que celle du petit Jésus, de l’absence de risque et d’incertain. Bref, Merton et Scholes ont véhiculé le mythe du risque nul. Sur un marché spéculatif, on ne se lassera pas de répéter, c’est assez génial. Ça valait bien un Nobel.” (p. 68)
Pas de mains
“Dans la vie, il y a ceux qui prennent le risque de se salir, ceux qui se lavent les mains, et ceux qui n’en ont pas. Les économistes n’en ont pas. Pardon, ils ont la main invisible.” (p. 42)
Cette critique des économistes est sévère, mais comment ne pas leur en vouloir ? L’économie, c’est la mécanique du monde, tout simplement. Et son carburant semble bien être l’argent. Mais il y a l’homme pour gripper la machine, ce qu’oublient ces chers .
En fait non, pas tous. hélas ceux-là sont rarement entendus par les décideurs !
Mais cela pourrait changer : nous le verrons bientôt, avec un autre livre…
“Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles”, Bernard Maris, 142 pages, Seuil