Le temps passe, et bigre, voilà déjà la moitié d’une année écoulée depuis mon dernier article ! Six mois sans rien écrire : n’ai-je plus rien à raconter, ai-je abandonné mon idée de sauver le monde ?
Mais non ! Au contraire : je suis occupé par plein de projets. Surtout un !
Liens et câbles
La donnerie virtuelle lancée pour ma commune est ma principale activité en cette année 2018. Six mois après son lancement, le résultat est plutôt positif : le site présente en permanence quelque 150 annonces. Et il en cumule plus de 650 depuis son ouverture officielle, en mars. On peut donc estimer que quelques 500 objets ont changé de propriétaire !
Le but du site était aussi de “créer du lien”, grâce à sa portée limitée à la commune. Pari réussi : les transactions occasionnent de belles rencontres, en plus du plaisir de donner. Comme ce moment passé avec un collectionneur de vieux synthés, à qui j’avais apporté les câbles jack que je donnais.
Une fracture
Hélas le site manque de visibilité : beaucoup de Jettois l’ignorent encore, malgré une campagne d’affichage et un article dans le journal communal. Le bouche à oreille reste le meilleur vecteur de diffusion mais il ne faut pas se leurrer : le site attire principalement des gens impliqués dans la durabilité.
Dès lors comment atteindre les gens dans le besoin ? Il faudrait y réfléchir avec les acteurs sociaux de la commune…
Paul on tour
Qu’en est-il de la renommée du site ?
Plusieurs associations (Quartiers Durables Citoyens, Espace Environnement…) ont communiqué sur la donnerie virtuelle de Jette, et l’émission “On n’est pas des pigeons” l’a mentionnée (moment de gloire quand ils ont dit “… à l’initiative d’un citoyen de la commune…” ).
Quelques communes m’ont contacté : certaines se tâtent encore, d’autres se sont ravisés. Et puis une s’est jetée à l’eau : Berchem-Sainte-Agathe a sa donnerie virtuelle depuis septembre !
Deux communes utilisant mon site : c’est peu. Mais si le “jour” est l’unité de temps pour mes projets, c’est le “mois” pour les administrations communales : patience !
Mais je ne me plains pas. Grâce à ce projet je multiplie les bonnes expériences : je me réunis avec des employés communaux impliqués dans la durabilité, je rencontre des acteurs du changement, et je suis invité à présenter le projet lors d’événements comme le Rallye des Quartiers Durables Citoyens.
Et comme le site est une belle carte de visite… on m’appelle pour d’autres projets. Il y en a un que j’ai accepté. Et il me prend beaucoup de temps.
Je voulais que ma commune ait une donnerie virtuelle : un site web pour publier des annonces d’objets à donner. Elle n’en avait pas. Alors je l’ai créée !
Un livre trop loin
Je vis à Bruxelles. Et un habitant de Liège donne un livre m’intéressant : j’ai trouvé son annonce sur un site spécialisé. Mais suis-je prêt à parcourir une centaine de kilomètres pour obtenir ce livre ? Non. Et ce liégeois voudra-t-il me l’envoyer ? Non plus : déjà qu’il le donne, ne lui en demandons pas trop !
Mais voici que livre est à donner à Bruxelles… mais de l’autre côté de la ville. Vais-je traverser la cité pour l’acquérir ? Ce n’est pas sûr.
Et si ce livre est donné dans ma commune ? Là j’accepte de marcher ou pédaler pour l’obtenir… Si en plus il est dans ma rue, je lierai connaissance avec un voisin !
Ce raisonnement m’a conduit à la conclusion suivante : un site d’annonces d’objets à donner ne peut réussir que s’il est local, portant sur un territoire délimité. Tel qu’une commune ou un village.
Existe-t-il des communes proposant un tel site ? État des lieux…
La donnerie qui n’existait pas
Un endroit où les gens entreposent des objets à donner se nomme “donnerie” . La carte des initiatives du RCR permet de trouver les donneries de Bruxelles et de Wallonie : il s’agit principalement de pages Facebook et de listes de diffusion Agora, qui ne me satisfont pas.
Seule la donnerie d’Etterbeek répond à mes attentes : cette commune a développé un site d’annonces s’adressant à ses citoyens. Mais qui gère ce site ? Personne ne répond à ma demande d’information. L’idée d’une collaboration avec cette donnerie tourne donc court : je n’ai plus qu’à retrousser mes manches et concrétiser ce que j’ai en tête.
Et voici comment je vois les choses…
Des cassettes VHS pour le monde entier
Visiter une donnerie, c’est comme parcourir un marché aux puces : on flâne, on cherche rarement quelque chose en particulier, mais on espère tomber sur une bonne surprise.
J’imagine donc mon site au plus simple : une page avec des annonces dans leur ordre d’arrivée (les plus récentes en tête). Pas de blabla, pas de news, pas de recherche, pas de “Bienvenue sur la donnerie de Jette” : vous arrivez, vous découvrez ce qu’on donne… vous contactez !
Mais surtout : seuls les habitants et travailleurs de la commune peuvent poster des annonces. On s’inscrit donc en choisissant la rue dans laquelle on habite ou on travaille.
Pour autant, le site ne se coupe pas du monde : n’importe qui peut consulter les annonces et contacter les donateurs. Après tout, si un liégeois est prêt à se déplacer pour mes cassettes VHS…
Chemin de croix
Je commence mon entreprise en août 2017 : mon temps libre est partagé entre la programmation du site et un entraînement en vue de mon Chemin de St-Jacques de Compostelle.
Arrive septembre et j’entame mon chemin de croix… Non, en fait il y en a deux !
Car une autre idée fait… son chemin ! Je ne lancerai pas le site en mon nom : je veux le confier à la commune.
Je contacte donc mes quelques connaissances travaillant à l’administration communale. Les réactions sont enthousiastes. Mais les rouages de l’administration sont complexes (et impénétrables ?) : le chemin est plus long pour les convaincre que pour programmer le site. La décision n’arrivera qu’en janvier 2018 : oui, la commune adopte le site et le promotionnera !
Vous êtes les 1 %
C’est une belle reconnaissance pour mon travail.
Et une belle vitrine pour mon ambition : mettre le code du site à disposition des communes et quartiers qui souhaiteraient avoir leur propre donnerie virtuelle.
En ce mois de mars 2018, le site est officiellement lancé. Il est ouvert aux 52.000 jettois ainsi qu’aux travailleurs de la commune : en attirer 1 % sur le site serait fabuleux.
Vous n’êtes pas de la commune ? Qu’à cela ne tienne : remuez ciel et terre pour que ce site soit créé dans votre quartier. Puisque je vous le dis : ce site est à donner !
“Le cauchemar de Darwin” , documentaire multi récompensé, ne serait qu’une supercherie ! C’est un historien français qui le dit. Ou alors c’est celui qui dit qui l’est ?
Enquête sur l’enquête…
La faute au capitaine
Que ceux qui n’ont pas vu “Le cauchemar de Darwin” lèvent le doigt : c’est le film emblématique des altermondialistes. Sorti en 2004, ce documentaire de l’autrichien Hubert Sauper emporta un succès inespéré : le public se déplaça en nombre, les critiques furent élogieuses, les récompenses tombèrent.
Je résume les propos de ce film coup de poing, pour les rares personnes ayant levé le doigt :
À des fins commerciales, la perche de Nil fut introduite dans les années 60 dans le lac Victoria. Un choix irresponsable car…
… ce grand prédateur a remplacé les poissons endémiques du lac, privant les habitants de Mwenza (Tanzanie) de leur nourriture traditionnelle. Mangent-ils alors du Capitaine (l’autre nom de ce poisson maudit) ? Même pas, car…
… l’animal est traité puis expédié dans nos pays, ne laissant aux habitants que des carcasses peu ragoutantes.
Cette denrée destinée à notre assiette est transportée par des avions cargos russes. Atterrissent-ils là-bas la soute vide ? Non, ils arrivent chargés d’armes illégales. Ajoutant ainsi une couche d’instabilité à cette région minée par la misère.
Le film est une succession d’images glauques, sans commentaires. Quelques titres et des interviews nous laissent assembler les pièces d’un effroyable drame : nous sommes coupables de spolier les Tanzaniens de leur poissons, et nous les payons en kalachnikovs !
Ce n’était pas un homme avec un seau
Le retentissement du film eu pour conséquences l’appel au boycott de la perche du Nil, l’indignation du monde politique, l’entrée en campagne des ONG.
Toute cette révolution sur la seule foi d’un film d’une heure 47 au montage discutable et sans base scientifique : “Comment expliquer que le Cauchemar de Darwin ait été pris avec un tel sérieux ?” s’interroge François Garçon, spécialisé dans l’histoire et l’économie du cinéma.
En 2005 il publie une contre-enquête dans Les Temps Modernes (et développée dans le livre chroniqué ici), dénonçant le film : c’est une imposture ! Ses arguments, il ne les cherche pas sur le terrain en Tanzanie (ce que lui reprochera le réalisateur et son fanclub) mais en se documentant : rapports de l’ONU et des ONG, interviews du cinéaste, biographie des pseudo-scientifiques défendant le film, actualité du pays, littérature sur la région, études scientifiques sur la faune du lac, etc.
Ses conclusions sont loin du tableau macabre projeté en salles :
l’introduction de la perche du Nil fut un acte réfléchi, après des années de débat dans la communauté scientifique. Et c’est la Tanzanie qui prit cette décision, dans le but d’améliorer l’économie autour d’un lac pauvre en ressources. On est loin de l’image insinuée par le film : un homme versant un seau de perches au bord de l’eau, un après-midi, comme ça ! ;
la perche du Nil profite bien aux Tanzaniens : elle a permis une augmentation des activités de la pêche, et les industries du conditionnement donnent des emplois bien rémunérés. Même les carcasses (les pankies), que le film fait passer pour la nourriture locale, développent l’économie : elles servent de nourriture animale ;
rien ne prouve que la perche du Nil est à l’origine de l’appauvrissement du lac : les rejets de l’agriculture intensive et des industries pourraient en être les causes premières ;
et surtout : le trafic d’armes est une invention !
Trafic de bottins
Ce dernier point est celui qui fâche ! Car le supposé trafic d’armes est la révélation qui rend le film explosif. Au point d’en inspirer l’affiche.
Or, aucune image n’étaye cette théorie, malgré sept mois de tournage. C’est une idée suggérée par un habile montage et des interviews orientées.
Notre historien peut-il, à son tour, prouver l’absence de trafic d’armes ? Hélas non. Mais il se base sur des évidences :
les transporteurs n’ont pas besoin de ramener des armes pour rentabiliser leurs voyages entre la Tanzanie et l’Europe ;
Mwanza est mal située pour développer un tel réseau de contrebande ;
la Tanzanie ne souffre pas de la présence de bandes armées et de conflits ethniques (c’est même un des pays les plus stables de la région) ;
les ONG n’ont jamais constaté de tels agissements.
“En clair, à Mwanza, les seules armes se trouvent dans la tour de contrôle de l’aéroport. Ce sont les bottins téléphoniques destinés à écraser les mouches et autres insectes volants.” (p. 204)
Cauchemar mis en scène
Dans son livre, Garçon ne manque pas d’arguments pour démonter le film. Mais il règle aussi ses comptes avec la presse qui a manqué de sens critique, avec un public irresponsable (boycotter la perche du Nil serait un désastre économique pour la Tanzanie), et avec le réalisateur qui lui a intenté un procès en diffamation. Mais à en croire certains compte-rendus, Garçon présente aussi quelques propos discutables.
Alors finalement, qui croire ?
Je n’ai pas revisionné le film. Mais je l’ai survolé à la recherche de certaines séquences révélatrices. Comme cette scène avec les enfants se bagarrant pour du riz, à 1h10 : les plans ne semblent pas être pris au même moment, la bagarre sonne faux, les adultes restent impassibles, les enfants semblent en bonne santé. N’est-ce pas une mise en scène ? “Question cauchemar […] Sauper a respecté son cahier des charges.” (p. 163)
La contre-enquête de Garçon me semble plus honnête que le film de Sauper.